Dans la course au logement, les travailleurs temporaires cumulent les handicaps : pas de CDI, des emplois souvent peu rémunérés, des contraintes horaires qui excluent les trop longs trajets et des contrats courts qui impliquent des recherches fréquentes de résidences temporaires.
Dans l’industrie, dans le BTP ou dans la restauration, trois secteurs qui peinent à recruter ; il n’est pas rare qu’un poste ne soit pas pourvu faute pour les candidats de pouvoir se loger à proximité.
Trois millions de salariés temporaires
Dans les secteurs touristique et agricole, la saisonnalité de l’emploi ajoute une couche de difficulté en concentrant l’offre de travail dans le temps et dans l’espace ; dans bien des cas, loger touristes et saisonniers dans un espace contraint relève d’une gageure. Un rapport récent du CESE précise : « 40 % des emplois saisonniers dans le tourisme habitent loin. Faute de logement, 100 000 ne concluent pas de contrat »[1].
Ce sujet est loin d’être négligeable car le travail intérimaire représentait plus de 3 millions de salariés en 2022 (données OIR). Le nombre de contrats a fortement augmenté entre 2018 et 2022 (+12 %) tandis que leur durée moyenne a diminué (-8 %). Parmi ces travailleurs, les saisonniers représentent 1 million de personnes (données DARES de 2018) dont 1/4 dans le domaine agricole, et 2/3 dans le secteur du tourisme, avec une représentation plus marquée l’été. Sur l’ensemble des travailleurs intérimaires, 75 % sont des ouvriers, 62 % ont moins de 35 ans et 35 % moins de 25 ans.
Ajoutons à cela la progression forte des contrats d’apprentissage, suite au plan de relance de l’apprentissage de 2018 (837 000 en 2022 + 130 % depuis 2019 - source DARES 2023), avec un objectif d’un million d’apprentis en 2027. L’évolution forte et rapide des besoins en logements temporaires accroit la pression de la demande sur le parc locatif.
L’État a conscience du problème des saisonniers. Dans son plan « Tourisme : 15 engagements pour améliorer l’emploi des travailleurs saisonniers » publié en juin 2023, il prévoit notamment de créer une plateforme recensant les offres de logements pour les saisonniers, d’inciter fiscalement les propriétaires privés à louer leur bien à leur profit, de leur étendre la garantie « Visale » (caution apportée par Action Logement) et d’évaluer le bail mobilité à destination des saisonniers.
Comment organiser localement le logement des travailleurs temporaires ?
Pour répondre à ce défi socio-économique, il n’y a pas de solution unique, car les besoins peuvent être très différents d’un territoire à l’autre. Ils vont dépendre de la structure des emplois à pourvoir : combien de travailleurs ou alternants, à quelle période de l’année, pour combien de temps, seuls ou en famille, avec quel budget, quelles contraintes pratiques ?
Pour cerner ces besoins puis évaluer le parc de logements disponibles et enfin envisager des solutions complémentaires adaptées, il faut nécessairement mener une enquête précise auprès d’un nombre important de parties prenantes : employeurs publics et privés, organisations professionnelles, agences d’interim, chambres de commerce et d’industrie et d’agriculture, mais aussi bailleurs, plateformes de location…
Certaines collectivités se sont déjà dotées de feuilles de route pour les emplois saisonniers à caractère touristique : les communes et EPCI « touristiques » sont en effet soumises à l’obligation de conventions pour le logement des saisonniers[2].
Mais il y aurait lieu, comme on l’a vu, d’étendre cette réflexion aux travailleurs intérimaires non saisonniers et aux alternants ( pour rappel : 3 millions d’intérimaires dont les 2/3 ne sont pas saisonniers, et 1 million d’apprentis à court terme sur le territoire national), et donc d’élargir l’enquête en conséquence.
Une palette de solutions concrètes
Une fois les besoins identifiés, une partie des solutions pourra être recherchée dans le plan « Tourisme : 15 engagements pour améliorer l’emploi des travailleurs saisonniers » déjà évoqué. Ce plan prévoit également diverses mesures à mise en œuvre locale, qui pourraient s’étendre aux travailleurs temporaires au sens large :
- Encourager les agréments de résidences (foyers jeunes travailleurs, résidence hôtelière à vocation sociale)
- Développer la réservation de logements relevant de l’article 109 de la loi ELAN afin de réserver des logements sociaux à des salariés de moins de 30 ans, pour des durées de moins d’un an
- Accompagner les dispositifs existants de mobilisation de logements du parc social (conventions EPCI/bailleurs sous le contrôle des préfets).
L’impact de ces mesures reste à évaluer au regard des caractéristiques d’âge et de composition des ménages.
D'autres solutions locales ont été expérimentées dans différentes régions pour répondre à ces besoins spécifiques :
Construction de solutions transitoires :
- Mise à disposition de résidences existantes (internats scolaires, universitaires)
- Construction d’habitat léger provisoire (tiny house, habitat modulaire)
- Incitation à louer des chambres auprès de particuliers
Construction de solutions plus pérennes :
- Réservations partenariales de logements entre bailleurs, entreprises et collectivités
- Mise à disposition de logements de fonction par les employeurs
Information et communication :
- Plateformes partagées et mise en relation offre/ demande (France Travail, Action Logement)
Mutualisation :
- Développement de zones mixtes logement/activité, identification de gisements fonciers
- Développement de foncières intercommunales
Toutes ces solutions disent assez la nécessité d’une démarche concertée et partenariale entre les acteurs locaux de l’économie et du logement, tant pour analyser les besoins que pour mettre en place les solutions dont l’économie locale sera la première bénéficiaire.
Sur le même sujet, voir aussi :
Le logement temporaire géré : une tendance à l’hybridation
Ne laissons pas la crise du logement se transformer en crise de l’emploi
[1] La ville de Rennes est passée en zone A, au lendemain de l’interview (arrêté ministériel du 5 juillet 2024), ce qui améliore la solvabilité des ménages par le relèvement des plafonds du PTZ.
[2] Bail à construction à sortie inversée : le maître d’ouvrage achète un droit à construire, le terrain reste propriété de la collectivité. Le prix de ce droit est équivalent au prix de la charge foncière. Son paiement est assimilé à un loyer payé d’avance pour 20 à 25 ans, aucune redevance n’est donc due. À l’issue du bail, si les transactions successives ont bien respecté la clause anti-spéculative du contrat, le foncier et le bâti sont réassociés.
[3] Communes de plus de 3500 habitants soumises à l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU)
[4] La politique rennaise d’acquisition foncière est ancienne. Aujourd’hui, une enveloppe de plus de 12 M€ par an sert à acheter des fonciers stratégiques dans les secteurs ouverts à l’urbanisation.
Propos recueillis par Denis Tudoux et Jeanne Bazard.
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