Nous consacrerons bientôt à ce sujet un webinar dont voici un avant-goût.
Obsolescence des immeubles de bureaux et demande en baisse d’un côté, besoins en logements non satisfaits de l’autre, le tout dans un contexte de pénurie foncière et de décarbonation de l’immobilier : la transformation de bureaux en logements a tout d’une tendance de fond. Mais cette tendance, si elle est vraie à l’échelle macro-économique, bien que relativement lente à ce stade, n’implique pas que tout bâtiment tertiaire susceptible de changer d’usage doive inéluctablement subir cette transformation.
En pratique, c’est souvent à un opérateur immobilier (promoteur ou bailleur) que revient l’initiative d’étudier la faisabilité de la transformation d’un immeuble donné. Mettons-nous ici à sa place.
La faisabilité technico-économique est celle qui vient spontanément à l’esprit. Nous en avons parlé dernièrement (voir article). Mais la notion de faisabilité est bien plus large que cela. En particulier, et c’est l’objet de cet article, il est indispensable de connaître les positions de toutes les parties prenantes sur l’opportunité ou non de cette transformation. Car l’opération ne se fera pas sans un alignement de tous les intérêts en jeu.
Les intérêts en jeu
1. Intérêt des utilisateurs
Hors les cas de friche manifeste, un actif tertiaire sujet à vacance ne l’est a priori que de façon temporaire… mais pour combien de temps ? Question difficile tant le comportement de l'utilisateur est attentiste ou imprévisible. Il pourra chercher à négocier son maintien dans leurs locaux actuels, ou pas : un mono-utilisateur peut ainsi quitter presque du jour au lendemain ses locaux (cas de Sanofi à Gentilly tout dernièrement[1]), et générer alors une vacance conséquente. Il existe donc une gamme de vacance et d’obsolescence, mais aussi de risque, suivant l’attractivité du bien (état, taille, localisation…).
Il est donc important de considérer l’immeuble du point de vue des utilisateurs pour évaluer son degré d’obsolescence et de fragilité commerciale.
2. Intérêt du ou des propriétaires
Vu de l’extérieur, la vente d’un actif obsolescent semble aller dans le sens de l’intérêt objectif du propriétaire. Pourtant, beaucoup de propriétaires, et surtout d’asset managers, cherchent d’abord des solutions en faveur d’un maintien d’usage pour tenter de conserver la valeur de capitalisation du bien.
Et de façon générale, dès lors qu’un occupant génère assez de loyer pour couvrir les charges, le propriétaire n’a pas forcément intérêt à transformer ou vendre à court terme. Certes, tôt ou tard, des travaux d’amélioration et de mise aux normes, notamment en regard du « décret tertiaire[2] » s’imposeront et il reconsidérera sa position. Ou alors, il devra trouver un refinancement auprès d’une banque. Mais cela peut prendre un certain temps et tant qu’un espoir est permis, le propriétaire ou l’asset manager tendent à considérer qu’il est urgent d’attendre.
Il y a en outre plusieurs cas de figure.
L’immeuble peut appartenir à un ou plusieurs fonds d'investissement immobilier, à une administration ou à une entreprise utilisatrice. Chacun regarde l’actif sous un prisme particulier : le fonds va le considérer comme un placement financier, l’administration comme un bien patrimonial et l’entreprise comme un actif d’exploitation. La logique comptable sous-jacente et l’intérêt de vendre l’immeuble, donc les conditions de négociation peuvent être sensiblement différents suivant le profil du propriétaire. Lequel peut aussi souhaiter s’associer à l’opération immobilière.
En outre, la décision de vendre est un processus qui peut être long. Les travaux à faire pour maintenir l'usage tertiaire n’ont pas forcément été évalués, ou les arbitrages n’ont pas été faits. S’il y a copropriété entre plusieurs investisseurs institutionnels, les discussions peuvent s’éterniser. De même si l’actif appartient à une SCPI, sa vente tendra à diminuer la valeur de la part et le gestionnaire souhaitera retarder l’officialisation de cette contre-performance. En revanche, si l’immeuble appartient à une entreprise utilisatrice ayant des besoins de trésorerie, la cession peut être plus rapide.
La posture et l’intérêt objectif du propriétaire face à une éventuelle cession méritent d’être regardés attentivement avant d’aborder la négociation.
3. Intérêt de la collectivité
La collectivité (commune, EPCI, aménageur) est concernée au premier chef dans la mesure notamment où la transformation de bureaux en logements impliquera souvent une modification du PLU.
Elle peut aussi imposer une part de logement social (ou autres) dans toute programmation résidentielle, ou encore fixer des objectifs environnementaux en termes de bilan carbone par exemple, mais aussi de végétalisation.
Sur un plan plus qualitatif, elle appréciera si l’endroit se prête à la création de logements ou s’il faut chercher à adapter les locaux à d’autres activités économiques, pour des raisons y compris fiscales.
Dans le cas d’un immeuble dont la transformation est manifestement souhaitable sur le plan urbain (formation d’une friche par exemple), elle peut être demandeuse d’une occupation transitoire des locaux avant la réalisation d’un projet qui s’accompagnera en outre d’une refonte de l'espace public.
La collectivité est susceptible de formuler tôt ou tard des attentes fortes et nombreuses vis-à-vis du projet. Mieux vaut donc le co-construire avec elle en amont.
👉 L'interview d’Axel Lecomte, directeur général adjoint de la Ville de Nanterre
4. Intérêt des investisseurs
La plupart des transformations qui se font aujourd’hui débouchent sur la création de résidences gérées ou de programmes mixtes comportant des logements étudiants et des logements familiaux de type social, intermédiaire ou BRS. La part de l’accession est marginale. Ces opérations bénéficient donc d’un portage par des acteurs immobiliers institutionnels (bailleurs sociaux, foncières, OFS). Ces derniers ont des critères d’engagement stricts – situation, niveaux de charge foncière acceptable, objectifs environnementaux – impactant directement la faisabilité technico-économique de la transformation. En cas de résidence gérée, les contraintes de l’exploitant sont également à prendre en compte.
La transformation d’un actif de bureaux se fait souvent pour le compte d’un investisseur ou d’un bailleur, dont il importe de connaître les critères d’engagements et le modèle d’exploitation sur le long terme.
Montée en compétence
C’est à l’opérateur immobilier à l'initiative du projet qu’il revient de collecter ces différents points de vue et de tenter de les faire converger dans un projet qui alignera les intérêts de toutes les parties prenantes (et les siens propres, bien entendu).
Il est bien clair que cette gestion de projet lui incombe aussi dans les opérations immobilières classiques, mais il prend ici une coloration particulière dans la mesure où il se joue dans un contexte beaucoup plus flou car non standardisé, où l’on manque notamment de références en matière de prix.
La délicate question du prix
Pour l’opérateur immobilier, le rachat d’un actif à transformer se regarde d’abord comme l’équivalent d’une charge foncière. Or à la différence d’une opération immobilière classique, dans laquelle le prix du foncier se négocie peu ou prou en fonction des prix de sortie du logement neuf, on a ici deux difficultés : d’une part il est beaucoup plus difficile de projeter la programmation future, d’autre part le détenteur du bien ne raisonne pas comme un propriétaire foncier classique. Des bureaux, surtout s’ils restent partiellement occupés, sont des actifs considérés par leurs propriétaires soit selon une logique d’amortissement comptable, soit selon une valeur vénale et locative correspondant à un usage « tertiaire occupé ». Et la valeur obtenue est rarement compatible avec un compte à rebours de bilan d’opération classique.
Bien que complexe, la transformation de bureaux en logements devrait offrir aux opérateurs immobiliers de nombreuses opportunités d’affaires et constituer un véritable axe de développement à court terme. Cette stratégie impliquera toutefois une montée en compétences sous certains aspects, l’acquisition de nouvelles expertises et le recours à des montages différents. Pour exemple, le contrat de promotion immobilière peut sembler plus adapté que la VEFA au regard des modèles économiques d’opérations et des acteurs à mobiliser.
[1] Le groupe pharmaceutique emploie 3 700 collaborateurs sur son campus val-de-marnais de 52 000 m2 inauguré en 2015 à Gentilly. Il s’agit de son principal site tertiaire en France. Le déménagement est prévu pour l’été 2027.
[2] Le décret tertiaire (article 175 de la loi Élan), impose une réduction progressive de la consommation d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire afin de lutter contre le changement climatique.
©camden-hailey-george-unsplash
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