S’agissant de l’avenir, de quoi les “grands acteurs” du logement parlent-ils entre eux ?

Il existe un lieu où compagnies d'assurance, gestionnaires de fonds, promoteurs et acteurs du logement intermédiaire se rencontrent régulièrement : c’est le LAB Résidentiel. Christian de Kerangal, directeur général de l’IEIF, nous raconte ce qui s’y passe.

Le LAB Résidentiel, espace de réflexion et de dialogue entre grands acteurs du logement créé et animé par l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) avec ADEQUATION, réunit 21 sociétés membres. Il entame sa troisième saison. Christian de Kerangal, directeur général, répond à nos questions.

Christian de Kerangal

Comment se passe le retour des investisseurs institutionnels sur le marché résidentiel ?

Ce retour est très net. Le résidentiel, aujourd’hui, offre une rentabilité courante proche de celle de l’immobilier d’entreprise et présente moins de risques. En outre, les stratégies RSE gagnent de l'importance. Créer des logements, en particulier abordables, peut faire partie des actions menées à ce titre. Sans parler de la rénovation énergétique du parc ancien, pour laquelle les investisseurs institutionnels seront les seuls à disposer de capacités financières massives.

En France, les investisseurs institutionnels français ou étrangers ont investi 1 Md € en 2014, puis des volumes croissant chaque année, jusqu’à 7 Md € en 2020 et à nouveau 7 Md € en 2021. Cette forte croissance reste pourtant en deçà de leur appétit, frustré par un manque d'offre. La production de logements neufs, qu'ils regardent particulièrement car elle leur donne accès à des immeubles en bloc, est freinée actuellement pour différentes raisons. Et, dans l'ancien, la propriété foncière a été fortement émiettée au cours de 25 dernières années sous l'effet des dispositifs de défiscalisation qui ont permis aux particuliers de prendre le relais des institutionnels dans le financement des logements locatifs libres. Cela rend plus difficile l'acquisition d'immeubles complets. Ils continuent donc à investir très majoritairement dans des immeubles neufs, mais on voit monter leur intérêt pour l'existant à restructurer, même si c’est plus compliqué, ou pour certaines villes de moindre importance, même si le marché y est moins liquide, donc plus risqué. 

Illustration - graphique primes de risque comparées sur l'immobilier
graphique primes de risque comparées sur l'immobilier "prime"

Quels sont les thèmes de travail du LAB résidentiel en 2022 ?

Depuis la création du LAB, nos travaux explorent deux thématiques “permanentes” : l'adaptation du produit logement aux évolutions sociétales (en termes de qualité, de services, de localisation, de prestations, etc.) d’une part, la place des investisseurs institutionnels dans la détention et le financement du logement d’autre part. Nous ciblons chaque année des aspects spécifiques. En 2022, ce sont :

  • la géographie du logement, en particulier l’ampleur des mouvements de population entre les métropoles, certaines agglomérations régionales et les villes moyennes, suite à la crise sanitaire
  • le résidentiel en Europe, avec un accent porté sur les cultures résidentielles des pays européens, parmi lesquels la France se distingue par une valorisation forte de la propriété et une moindre présence des institutionnels sur le marché
  • les stratégies ESG des investisseurs pour les années à venir, pour mettre en évidence des axes de convergence ou de différenciation 
  • les fonds à impact[1], leurs raisons d’être et modalités d'action, leur intérêt et les difficultés à les créer

Chaque thématique fait l'objet d'une réunion assez longue pour laquelle ADEQUATION et l'IEIF préparent des éléments issus d'études existantes ou réalisées spécifiquement pour le LAB, parfois avec un intervenant extérieur. L'objectif est double : il s’agit à la fois d'apporter des éléments d'information et de favoriser les échanges autour des stratégies des membres. Certains se posent des questions, d'autres apportent des réponses. Même s'ils sont concurrents entre eux, ils éprouvent plus d'intérêt que de réticence à cette mise en commun.

Le LAB se veut-il aussi un laboratoire d’innovation opérationnelle  ?

Ce que nous faisons ensemble est en soi une innovation. Je n'aurais certes pas la prétention de dire que nous avons été à l'origine des partenariats qui se sont noués dernièrement[2] et qui auparavant n’existaient pas ou très peu, mais nous y avons sans doute un peu contribué en mettant en relation des acteurs qui se côtoyaient sans se connaître vraiment. Le LAB leur a offert un espace d'échange “en terrain neutre” pour apprendre à connaître leurs enjeux respectifs.

Sur un plan plus directement opérationnel, nous avons travaillé sur la dissociation de la propriété immobilière, par le BRS, l'usufruit locatif social ou d'autres montages qui permettent de rendre le logement abordable dans les cœurs de métropole. Nous avons eu également une séance de travail sur les résidences gérées, dont le coliving et les différentes formes sous lesquelles il émerge. Les investisseurs se posent beaucoup de questions sur la viabilité de ces nouveaux modèles et de leurs opérateurs.

Où en sont les réflexions sur l'enjeu de rénovation énergétique ?

Enjeu auquel on peut ajouter celui du “zéro artificialisation nette” ! Le modèle classique de la promotion immobilière vit sans doute ses dernières années. La rénovation va devoir monter en puissance jusqu'à devenir majoritaire dans son activité. Cela entraînera des temporalités plus longues et des coûts supérieurs donc des besoins en fonds propres plus élevés impliquant l'adossement à des investisseurs, avec probablement une moindre rentabilité. 

D’où de nécessaires innovations dans les modèles d’affaires… 

Bien sûr. Du côté des promoteurs, une stratégie peut consister à s'allier avec un investisseur pour se doter d'une foncière de portage de foncier ou d'actifs sur du long terme. Les investisseurs, qui voient leur rentabilité courante diminuer, pourront quant à eux chercher à remonter sur la chaîne de valeur, vers la promotion voire l'aménagement urbain, pour capter tout ou partie de la valeur créée à chaque étape. Beaucoup d’acteurs réfléchissent aujourd'hui aux modèles d'affaires de demain en considérant qu'ils seront plus ou moins hybrides entre l'investissement stricto sensu et la promotion voire un peu d'aménagement. Évidemment, cela ne va pas concerner tout le monde, mais certains acteurs pourraient évoluer vers un modèle d'opérateur unique, et nombreux sont les investisseurs qui a minima vont étoffer leur savoir-faire en matière de construction ou de restructuration. 

Nous avons consacré deux séances à cela en 2021, je pense que nous y reviendrons en 2023 parce que le sujet est central. Et nous travaillerons également probablement sur la question des changements d'usage, notamment des transformations de bureaux en logements. Elles sont compliquées sur les plans technique, réglementaire, politique, mais elles vont finir par s’imposer dans l'agenda en raison d’une obsolescence des actifs tertiaires de moins en moins anecdotique. Cela aussi peut susciter l'apparition de nouveaux métiers.


[1] Selon la réglementation européenne, fonds dotés d’une stratégie et d’objectifs d’impact positif clairs, soit sur l'environnement, soit sur la société, mesurables par des indicateurs.

[2] In’li et AXA (Cronos), Inli et Primonial REIM, Gecina et Nexity, La Française (non membre du LAB) et Vinci Immobilier

Propos recueillis par Jeanne Bazard

© ba-tik - Pexels

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