Produire des logements dans le bâti existant : comment s'y préparer ?

Un gisement hétérogène de ressources foncières, des modes opératoires à structurer et nombre d’adaptations à prévoir dans l’environnement de ce marché encore largement émergent. Retour sur l’atelier consacré à l’existant lors de la journée AD’LAB Living d’ADEQUATION.

Nolwenn Malherbe

Publié le 31/08/2022

 

Nous le savons, la nouvelle réglementation sur la ZAN (zéro artificialisation nette) met les opérateurs immobiliers au défi de considérer désormais l’existant comme leur première ressource foncière. En mai dernier, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, ADEQUATION a réuni des professionnels pour un atelier, que j’ai eu le plaisir d’animer, avec la complicité de Denis Caraire (Villes Vivantes), autour de cette question : « Renouvellement de l’existant : quelles solutions pour produire plus et mieux ? ».

En avril 2022, dernières données disponibles, le Cerema avait recensé et caractérisé plus de 7 200 friches en France. Son outil collaboratif, Cartofriches, doit être régulièrement mis à jour et n’est manifestement pas encore renseigné de manière homogène sur l’ensemble de la France.

Malgré cet effort louable, nous sommes donc encore loin d’un recensement représentatif, et plus loin encore d’une évaluation du volume de logements pouvant être produits à court, moyen ou long terme sur ce gisement.

Pour autant, suffisamment de professionnels s’y intéressent à juste titre pour que nous tentions empiriquement d’en cerner les caractéristiques. Ceci afin de réfléchir aux modèles économiques de la transformation/réhabilitation et aux conditions de développement de cette activité clairement appelée à devenir majoritaire à moyen terme.

Nous l’avons fait avec un représentant des promoteurs immobiliers (Pierre Vital d’ID&AL Groupe), des foncières (Alexandre Chirier, Foncière de transformation immobilière d’Action Logement), des collectivités (Sylvain Broussard de Valenciennes Métropole) et avec le concours d’une maître d’œuvre (Sandra de Giorgio, NZI Architectes).

De quel bâti existant parlons-nous ?

Partir des territoires

Pour commencer, il est bien clair que la transformation du bâti (immobilier économique au sens large) en logement ne saurait s’abstraire des réalités et des dynamiques territoriales. Les volumes bâtis potentiellement concernés doivent donc être rapprochés des besoins des territoires, de leurs conditions de marché et des orientations fixées par les politiques publiques locales. C’est donc territoire par territoire, ville par ville qu’il faut pouvoir analyser – ou, mieux, révéler – ce potentiel.

Révéler le potentiel des friches, Valenciennes Métropole, riche d’une longue expérience en la matière, y travaille méthodiquement. Celles qui n’ont pas encore été traitées, soit une centaine de friches «moyennes» de un à deux hectares, ont été analysées pour déboucher sur quinze sites prioritaires pour l’action publique. Selon quelle grille d’analyse ?

Selon des considérations d’emplacement, dans l’enveloppe urbaine et proche des offres de transport urbain, mais aussi de complexité, explique Sylvain Broussard, telles que les problématiques de pollution ou de dureté foncière. Le rôle de la métropole est d’aider les communes qui n’ont pas les moyens de résorber ces friches, quand le privé ne sait pas faire non plus.

Pour Alexandre Chirier, qui analyse quant à lui ce potentiel sous le prisme des besoins des salariés, chaque territoire a sa spécificité, il faut faire du sur-mesure, avoir de l’empathie car il ne suffit pas d’avoir un actif obsolète vide d’occupants pour embarquer les élus et les habitants dans un projet. Et c’est cette empathie, cette capacité à créer une dynamique qui englobe de la densification douce, des services ouverts sur le quartier, qui va permettre justement de révéler les potentiels.

Secteurs tendus versus détendus

Dans notre tentative de structuration du potentiel de reconversion de l’existant, une distinction à l’échelle macro semble néanmoins s’imposer, entre secteurs tendus et détendus. Ce qui vaut pour le neuf vaut a fortiori pour l’ancien, dans la mesure où la part des coûts de construction dans le coût global de l’opération y est plus élevée, nous y reviendrons. Cette affirmation mérite assurément des nuances au cas par cas, puisque les coûts dépendent de l’état et de la nature du bâti.

Il reste qu’il faut parfois savoir attendre. Dans l’agglomération de Valenciennes, la tentation de remplacer les friches par du logement social est forte, mais irait à l’encontre d’une stratégie générale de diversification des populations. Nous expliquons aux maires que la meilleure stratégie consiste à résorber les friches et à attendre, à assumer l’absence de dynamique de marché sur le territoire (Sylvain Brossard). Ce qui conduit à phaser dans le temps long les cessions foncières (pas uniquement pour des projets résidentiels) mais parfois aussi à organiser une occupation transitoire, une exploitation agricole voire, pour certains sites, leur renaturation.

Friches versus diffus

Une segmentation « friches/diffus » s’impose également car ces deux types de fonciers renvoient à des modalités opérationnelles bien distinctes. Dans le cas des friches, le temps long souvent nécessaire à linstallation de conditions favorables de marché suppose des capacités de portage foncier dont le secteur privé ne dispose pas. Les besoins en ingénierie sont aussi clairement supérieurs.

Par ailleurs, leur transformation est généralement synonyme de changement d’usage, ce qui peut poser des problèmes d’acceptabilité, y compris par les élus eux-mêmes. Ces derniers, témoigne Alexandre Chirier, redoutent en particulier l’effet de ciseaux produit par la concomitance de la baisse de la ressource fiscale et de la hausse des dépenses d’équipement lors de la transformation de bureaux en logements.

À l’inverse, les interventions dans le diffus, sans changement d’usage ou avec des changements d’usage assez ponctuels pour ne pas modifier les équilibres en place, sont mieux acceptés. Ils sont donc menés à bien plus rapidement, ce qui les rend plus accessibles pour les promoteurs.

Des bâtiments adaptés, d’autres non

Une autre segmentation repose sur la nature même des bâtiments à transformer, entre ceux dont la structure s’y prête et les autres. Comme l’explique Sandra de Giorgio, la transformation, c’est d’abord de la déconstruction. ll faut pouvoir évider, enlever des trames. Il faut aussi que les bâtiments ne soient pas trop épais. Quand vous avez des bureaux avec un grand atrium, ça ne pose pas de problème d’aligner les bureaux. Mais quand vous commencez à parler de vis-à-vis, de confort d’usage, de respiration [il faut pouvoir disposer d’une liberté de déconstruction suffisante].

La réhabilitation/transformation trouvera-t-elle son modèle économique ?

Une construction plus chère et plus risquée

Question basique : la réhabilitation est-elle plus coûteuse en travaux que le neuf ? Réponse non moins basique : plutôt oui. Mais une entrée plus subtile dans cette question passe par la notion de risque car les coûts de la réhabilitation sont plombés par une part élevée d’aléas.

Dans le neuf, les coûts sont assez fiables à quelques mois du démarrage d’un chantier.  En réhabilitation, les aléas se découvrent au fil de l’eau. […] Et la conclusion, c’est que les coûts de réhabilitation sont quasiment équivalents à ceux du neuf, et même supérieurs quand on est amenés à faire des reprises en sous-œuvre ou à resolidifier le bâtiment.

C’est ainsi que, à l’opposé de ce qui se passe dans le neuf, les promoteurs auraient tendance à privilégier les petits chantiers de réhabilitation afin de limiter l’enjeu en cas de difficulté non anticipée. Voilà qui n’est pas propre à accélérer la massification des volumes.

Un vrai problème de compétence et de disponibilité

Au-delà des aléas propres au travail dans l’ancien, si les coûts y sont en moyenne plus élevés que dans le neuf, c’est aussi parce que les savoir-faire des constructeurs sont très fortement tournés vers le neuf, et que la réhabilitation reste le fait d’artisans non structurés pour traiter de gros chantiers, et trop peu nombreux.

Il faut par ailleurs citer deux obstacles auxquels sont spécifiquement confrontés les opérateurs immobiliers qui cherchent à se diversifier dans la réhabilitation.

Des fonciers encore sur-évalués

Le premier obstacle relève de l’accès au foncier. Tous les actifs économiques susceptibles d’être transformés en logements ne sont pas des friches sans valeur immobilière. Bon nombre d’entre eux sont des bureaux obsolescents, mais qui, rappelle Alexandre Chirier, continuent à être valorisés à hauteur de leur rendement locatif actuel dans les bilans des sociétés qui les détiennent. Autrement dit, le marché n’a pas encore suffisamment ajusté leur valeur vénale à la baisse, et ils restent trop chers à acquérir en vue d’une opération immobilière avec changement d’affectation.

La concurrence des particuliers investisseurs

Le second obstacle tiendrait à la concurrence des particuliers :  ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que les promoteurs qui, eux, se doivent de livrer des bâtiments respectant l’ensemble des normes environnementales, avec un impact significatif sur les coûts. 

Ils bénéficient en outre d’aides publiques auxquelles les professionnels n’ont pas accès. Certains exploitent le dispositif Loi Malraux, un marché de niche que nous ne citons que parce quil peut faire une grosse différence au bilan, et la plupart ont accès à Ma Prime Rénov. Citons également le déficit foncier, instrument de défiscalisation très incitatif pour les propriétaires bailleurs.

Quelles pistes pour accélérer la réhabilitation/transformation par les professionnels ?

L’action foncière des collectivités

S’agissant de la ressource foncière, les opérateurs attendent beaucoup des collectivités, via leurs EPF et leurs OFS, pour acquérir, porter, libérer et céder, si possible à des prix bonifiés, les actifs immobiliers à transformer.

L’entrée en vigueur du décret tertiaire devrait par ailleurs conduire les propriétaires d’actifs économiques obsolescents à porter dans leur bilan des coûts de rénovation : ainsi dévalués, les immeubles de bureaux transformables en logements deviendront plus accessibles aux opérateurs immobiliers.

La réglementation

Des progrès sont également attendus du côté de la réglementation de la construction (ou de son application). Les permis de construire des projets de réhabilitation doivent-ils être examinés comme le sont les projets neufs ? Les ABF ne devraient-ils pas assouplir leur position pour permettre une meilleure adaptation des projets aux attentes des usagers (balcons, fenêtres…) ? Enfin, certaines réglementations conduisent à des absurdités, comme dans cet exemple cité par Alexandre Chirier : abaisser un plancher béton pour adapter la hauteur sous plafond revient «réglementairement» à construire un plancher neuf, avec les conséquences que cela implique en termes d’objectifs de réemploi ou de bilan carbone à atteindre (cas d'une consultation publique). 

Les leviers fiscaux et aides financières

En ce qui concerne les leviers fiscaux, il faut regretter que le Denormandie, alias « Pinel de l’ancien », trop compliqué à utiliser, n’ait pas rencontré le succès escompté. D’autres solutions, rappelées par une représentante de l’ANAH présente dans la salle, mériteraient d’être mieux regardées par les professionnels. La vente dimmeuble à rénover (VIR) et le dispositif dintervention immobilière et foncière (DIIF).

Il y a un dispositif dédié aux opérateurs immobiliers sur la VIR, qui est une aide aux travaux, mais qui n'est pas très connu. Avec la VIR classique, les opérateurs immobiliers qui interviennent dans l'ancien construisent leur modèle économique [en intégrant] les aides de l’Anah aux futurs bailleurs. L’idée [du DIIF], c'est d'apporter un financement de 25 % sur le montant des travaux avec des plafonds et avec des conditions de conventionnement derrière.

La construction hors-site

Restent les coûts de construction. Les faire baisser passera par la structuration de filières compétentes. Ce chantier majeur prendra du temps, même si certains promoteurs commencent à absorber des entreprises spécialisées pour traiter ce type de chantiers.

Une piste intéressante réside dans la construction hors-site. C’est à tort, selon Sandra de Giorgio, qu’on la considère inadaptée à la réhabilitation. Quand vous avez déjà le squelette qui est en place, la préfabrication va un peu de soi. Surtout quand il s’agit de bureaux ou de parkings, dont la trame est « hyper-systématique ». L’économie réalisée peut permettre de faire des efforts supplémentaires dans la réduction du carbone.

Hormis l’impact positif sur les coûts, la construction hors-site est aussi particulièrement avantageuse, rappelons-le en tissu urbain dense, puisqu’elle permet de minorer les impacts de chantier (accès, emprise, nuisance, durée). 

Les structures dédiées et l’ingénierie spécialisée

Au-delà de la construction proprement dite, c’est le mode opératoire global des promoteurs et leur organisation interne qui est en jeu, ce qui a conduit ID&AL Groupe à constituer une équipe dédiée de prospecteurs, de techniciens, de fiscalistes qui sont capables d’appréhender des risques propres à la réhabilitation, très différents de ceux du neuf.

Enfin, l’ingénierie devra nécessairement se développer, souligne Denis Caraire, en particulier pour résorber la vacance dans les bâtis appelant une transformation profonde d’adaptation aux nouveaux usages des logements, pour favoriser l’acceptabilité des projets qui impose de donner du soin, ou encore pour accompagner les petits ruisseaux, comme l’auto-promotion en matière de réhabilitation, qui a aussi sa pierre à apporter. 

 

D’une manière générale, il est clair que les projets de réhabilitation doivent être appréhendés de manière très différente des projets neufs, tant en termes que de méthodologies que de process et de collaborations.


© vlado-paunovic - Unsplash

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