La fin des fonciers « faciles » renforce la nécessité, pour les collectivités, de se doter d’une stratégie foncière. Elles ne peuvent plus compter sur un développement à l’opportunité, en extension, sur des terrains non ou peu bâtis : désormais, les besoins en immobilier doivent le plus souvent trouver une réponse dans le tissu existant, en majorité bâti.
Remise en cause de la mécanique de création de valeur
Si un simple repérage des parcelles non bâties pouvait suffire, à une époque pas si lointaine, à la définition d’une stratégie foncière, c’était bien parce que l’économie des projets reposait sur les écarts très forts entre la valeur initiale des terrains (environ 6 000 €/ha pour des terres agricoles « ordinaires » en moyenne), celle des charges foncières vendues aux constructeurs (plusieurs centaines d’euros par m² construit), et celle des logements vendus in fine (plusieurs milliers d’euros par m² habitable). Tout terrain rendu constructible d’un « simple » trait de crayon dans le plan d’urbanisme créait potentiellement, et quasi-instantanément, des millionnaires. Le processus de création de valeur, du terrain brut au bâti, ne prenait que les quelques années nécessaires une opération immobilière classique.
Deux éléments sont venus gripper cette mécanique :
- D’une part, une remise en cause de l’économie de la construction neuve, dont le modèle s’est progressivement fragilisé. Celui-ci a notamment reposé sur des conditions de financement des opérations extrêmement avantageuses, mais non durables, ces dernières années, et sur une dépendance très forte aux dispositifs fiscaux, eux-mêmes condition de possibilité de péréquations complexes.
- D’autre part, des politiques publiques de sobriété foncière qui orientent les opérations immobilières vers des gisements plus complexes. Si les fonciers « faciles » existent toujours malgré tout, l’économie immobilière fragilisée n’est plus en mesure de retourner à la situation antérieure.
Complexité et incertitude
Ces gisements fonciers complexes sont par définition plus difficiles à exploiter. De natures diverses – recyclage de friches, transformation de locaux d’activité en logement, densification pavillonnaire, surélévation, etc. – leur capacité constructive ne se laisse pas si aisément appréhender que celle d’un terrain nu.
Mais, surtout, on ne peut, encore moins qu’autrefois, parler de potentiel, tant que la question de la faisabilité économique n’a pas été éprouvée. Le prix d’acquisition des fonciers (ou des droits à construire) est relativement élevé par rapport à la valeur finale de l’opération, ce qui rend la création de valeur incertaine. Elle ne pourra en outre se faire, dans bien des cas, que dans le temps long. Il faudra attendre (parier ?) que le marché évolue à la hausse suffisamment longtemps pour réaliser une plus-value et obtenir un retour sur investissement satisfaisant.
Trois questions stratégiques
Le contexte immobilier actuel amène à reformuler quelque peu les questions que se posent ou devraient se poser les collectivités et aménageurs au moment d'élaborer des stratégies foncières opérationnelles :
1/ Quels usages privilégier ? Quels sont ceux que la puissance publique souhaite développer et avec quelles valeurs foncières sont-ils compatibles ? On ne pourra répondre à cette question qu’en la posant « à l’endroit », c’est-à-dire en partant de la / des demande(s) et de la solvabilité réelle des utilisateurs pour ensuite envisager une programmation adéquate : ce sont les marchés immobiliers (eux-mêmes dépendant de la demande) qui sont directeurs. Le foncier suit. C’est vrai dans les secteurs tendus, comme ailleurs.
2/ Avec quels opérateurs travailler ? Lesquels mobiliser pour lancer des opérations immobilières sur les fonciers disponibles ? Dans la crise historique que traverse la construction, il faut savoir aller chercher le(s) bon(s) interlocuteur(s) : quels sont ceux qui peuvent potentiellement porter les projets, dans le contexte territorial et avec les objectifs qui sont les miens ? On pense évidemment aux promoteurs, dont certains ont engagé leur mutation vers le recyclage et la réhabilitation. Il ne faut pas non plus négliger les grands propriétaires privés, industriels, investisseurs ou foncières, qui jouent un rôle croissant dans les dynamiques foncières locales car ils souhaitent valoriser un patrimoine en voie d’obsolescence (zones commerciales notamment).
3/ Quels modèles économiques ? Cette question arrive à la fin, conformément à notre raisonnement « à l’endroit » : la demande, les acteurs, et, au final, les modèles, qui résultent de la demande et des logiques des acteurs en présence, et non l’inverse. Comment équilibrer le bilan de l’opération, sécuriser les recettes foncières sans sacrifier la qualité ? Les solutions commencent à se dessiner. Elles conjuguent un travail sur la mixité fine de la programmation, pour assurer la commercialisation, un certain niveau d’investissement et de soutien financier public, direct ou indirect (TVA minorée par exemple) ainsi que, de manière croissante, le recours à la dissociation foncière. Cette dernière reste largement soutenue par des acteurs institutionnels (Caisse des Dépôts par exemple), dans le domaine des foncières dédiées aux activités (foncières développées par l’EPORA ou dans le cadre du programme « cent foncières de redynamisation ») ou dans celui, en plein développement, des foncières « logement », publiques ou privées, à des fins locatives ou d’accession à la propriété, dans le sillage des Organismes de Foncier Solidaire.
Les trajectoires d’une nouvelle économie foncière et immobilière, qui part de la demande, sont, enfin, en cours d’écriture. Les collectivités, et leurs opérateurs publics, doivent y contribuer. La définition, puis la mise en œuvre, de leurs stratégies foncières en constitue précisément l’occasion, sous peine de quoi elles resteront inopérantes, si ce n’est contre-productives.
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