Comment analysez-vous la période actuelle pour l’immobilier résidentiel ?
Yohan Breuil. La profession a connu une crise de la demande suivie aujourd’hui d’une crise de l’offre, sans oublier les évolutions réglementaires majeures en application de la loi Climat et résilience, à l’image du ZAN. En ce début 2025, le dispositif Pinel, les projets en extension urbaine et les taux de crédit très bas sont derrière nous. Les besoins en logements n’ont jamais été aussi forts alors même que les conditions de leur production se complexifient. Les opérations immobilières sont devenues systématiquement mixtes.
À la mixité sociale, imposée depuis 25 ans par la loi SRU et enrichie depuis par l’introduction du logement intermédiaire et du BRS, s’ajoutent une mixité fonctionnelle et d’usages (logements, bureaux, commerces) quasi incontournable, mais aussi une dualité « ventes en bloc / ventes au détail », sans parler de la cohabitation de construction neuve et de restructuration du bâti ancien dans les opérations.
Xavier Longin. Les opérateurs immobiliers sont tous occupés à construire leur stratégie de redéploiement. Certains acteurs de l’éco-système, tels les financeurs, les propriétaires fonciers et même les employeurs, deviennent de plus en plus incontournables. Travailler pour toutes les familles d’acteurs, publics et privés, ne nous a donc jamais semblé aussi utile qu’aujourd’hui, et cela enrichit beaucoup notre apport de conseil. La diversification de notre clientèle est pour nous une stratégie de longue date.
Nous l’avons intensifiée en direction des bailleurs sociaux et institutionnels, que nous conseillons de plus en plus dans leurs stratégies de développement, et nous accompagnons désormais plus fortement les investisseurs institutionnels et les établissements financiers.
Comment adressez-vous les investisseurs institutionnels ?
XL. Nous avons acquis l’été dernier MBE Conseil, spécialiste des études économiques sur l'immobilier d’entreprise, afin de compléter notre palette d’expertises sectorielles. La clientèle de MBE Conseil est largement constituée d’investisseurs institutionnels, auxquels nous sommes aujourd’hui en mesure d’apporter un conseil décloisonné, portant sur plusieurs classes d’actifs, y compris le résidentiel qu’ils connaissent souvent assez peu..
Vous parliez aussi des employeurs, c’est une nouvelle clientèle pour ADEQUATION ?
YB. Les collectivités et les employeurs publics ou privés sont de plus en plus attentifs à la capacité du territoire à loger les salariés près de leur lieu de travail. Nous sommes ainsi régulièrement sollicités pour accompagner la réflexion des acteurs locaux, par Action Logement Service ou la Banque des Territoires notamment. L’enjeu est majeur pour l’économie locale et la problématique est complexe. Un cas récent est celui de l’agglomération de Saint-Nazaire, qui cumule les motifs de tension : beaucoup d’emplois, une forte pression touristique, le recul du trait de côte qui s’ajoute au ZAN pour contraindre la ressource foncière… Nous intervenons dans le cadre de la création d’une foncière publique.
Nous entrons clairement dans une nouvelle économie foncière et immobilière, comment ADEQUATION s’y est-elle elle-même adaptée ?
YB. Depuis deux ans, nous faisons évoluer nos équipes, notamment en recrutant plus de consultants et de consultantes séniors, et en diversifiant les profils de compétence. Nous savons que notre rôle, de plus en plus, sera d’aider nos clients à contrôler les risques inhérents à toute prise de décision stratégique.
Mais il faut souligner que notre « adaptation » n’a pas attendu le paroxysme de la crise. Il y a longtemps que nous conseillons nos clients dans des stratégies d’évolution. Les questions posées changent, mais notre posture de conseil, à visée pré-opérationnelle, reste la même. Pour la SPL de La Part-Dieu à Lyon par exemple, nous avons d’abord accompagné l’aménageur dans sa stratégie d’évolution du quartier d’affaires, pour introduire une programmation résidentielle neuve. Aujourd’hui, les enjeux sont différents, elle nous demande de travailler sur le processus de rénovation des actifs existants.
XL. Nous avons aussi beaucoup investi, depuis près de 20 ans, dans le maillage territorial de notre réseau d’agences. Cela s’est révélé une bonne stratégie car les marchés immobiliers se sont considérablement « territorialisés ». Il faut être capable d’identifier les dynamiques propres et les déterminants locaux des marchés, dans les métropoles régionales comme dans les villes moyennes, les secteurs littoraux ou transfrontaliers. Connaître le territoire permet d’éviter de se tromper, mais aussi de repérer des opportunités. Être implanté partout facilite aussi la veille, le benchmark, la réactivité. C’est important dans un moment où la filière multiplie les initiatives pour se renouveler.
Quelles sont ces initiatives ?
YB. Les axes de diversification ou de repositionnement des acteurs immobiliers sont nombreux, entre la rénovation, la transformation de bureaux en logements, les montages dissociants, la propriété progressive, le logement intermédiaire, la création de foncières, la sur-élévation, le coliving, la « conquête » des villes moyennes, le soutien aux copropriétés dégradées et j’en passe. Ils présentent tous un intérêt, mais la réussite n’est pas garantie car elle dépend de multiples paramètres. L’existence d’une demande solvable et de conditions de marché adaptés en font évidemment partie et il faut savoir les mesurer de manière fine, avec des données fiables. Mais la réflexion va bien au-delà : c’est le modèle économique des projets et leur propre capacité à les porter que les opérateurs doivent interroger. Notre conviction profonde est que gagneront ceux sauront faire valoir une singularité, un positionnement fort et crédible, basé sur de vraies compétences. À l’échelle nationale comme à l’échelle locale.
XL. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir une vision pour dérouler une stratégie opérationnelle, tant s’en faut. Pour autant, on ne saurait s’adapter sans vision de l’avenir. J’insiste sur ce point car nous avons nous-mêmes délibérément investi pour garder les yeux ouverts sur le monde. Nous participons à des think tanks autour du foncier, de l’open data, de l’investissement immobilier. Nous finançons des programmes de recherche et la chaire GIF (Geodata – Immobilier – Foncier) de l’Université d’Avignon. Nos consultants animent des tables rondes, des ateliers de réflexion sur des sujets émergents, nous avons déjà publié plus de 50 interviews d'acteurs dans notre newsletter…
Quoi de neuf du côté « data et digital » ?
XL. Nous restons solidement ancrés sur ces piliers que sont nos deux métiers : « Études et conseil » et « Data et digital ». Cette dualité historique est dans notre ADN. Nos données objectivent nos recommandations qui en retour valorisent notre investissement dans les données : c’est donc un modèle vertueux, même s’il est exigeant. Nous investissons beaucoup dans la qualité des données, qui est notre point fort, mais également dans leur valorisation par les outils digitaux. En complément des produits Fil et e-focus que nous enrichissons en permanence, nous sommes devenus éditeur de solutions SAS, ce qui nous ouvre les portes de nombreux métiers intéressés par l’usage des données immobilières que nous produisons ou qu’ils détiennent.
YB. Nous avons aussi investi dans la sécurisation et la souveraineté des données de nos clients, qu’il s’agisse de sécurité informatique ou de protection des données personnelles. Nous adoptons une prudence voire une éthique analogue aux pratiques observées dans le domaine de la santé pour l’usage de l’intelligence artificielle : nous avons recruté des spécialistes qui la déploient aujourd’hui dans notre organisation, en veillant à ce que l’outil soit toujours contrôlé par nos experts métiers. C’est un des éléments qui nous distinguent de nombre de pure players de la proptech : nous associons systématiquement l’expertise humaine et la data. Les deux sont pour nous indissociables.
Un mot de conclusion ?
YB. A notre modeste niveau, nous sommes engagés à trouver des solutions aux cotés des acteurs de la filière pour contribuer au développement de l’immobilier résidentiel et d’activité, dont nous partageons évidemment les enjeux pour toute société humaine. C’est ce qui nous motive ! Or tant de modèles économiques sont aujourd’hui ébranlés ou remis en cause que la prise de risque est difficilement évitable. Notre rôle est d’aider nos clients à comprendre leur environnement et à évaluer leurs atouts pour contrôler ce risque et concrétiser leurs projets.
XL. J’insisterai aussi sur la reconfiguration des domaines d’activité. Les marchés neufs et anciens se décloisonnent, les classes d’actifs deviennent plus complémentaires entre elles. De nouveaux acteurs, de nouveaux usages, de nouveaux métiers apparaissent. Le champ d’action d’ADEQUATION aujourd’hui, c’est l’économie foncière et immobilière dans sa globalité.
@pexels - ziad-nr
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