Un grand nombre de facteurs ont un impact direct sur l’équilibre financier d'une opération d’aménagement et sur celui des programmes immobiliers. Ils sont pourtant intégrés tardivement à la conception du projet quand ils ne sont pas purement et simplement ignorés, préparant d’amères surprises.
On aura, bien sûr, reconnu les contraintes géotechniques du site, l’ambition environnementale et qualitative du projet, les coûts de construction, mais aussi les parts relatives du logement libre et du logement aidé, sans oublier le budget des ménages.
À cette liste déjà longue, il faut ajouter des règles décidées à un échelon supérieur. À Pirmil-Les Isles, pour prendre cet exemple, la Métropole de Nantes avait préalablement fixé deux règles qui allaient s’avérer fort contraignantes : un prix plafond au m² assez faible pour les logements en BRS, d’une part, des logements locatifs sociaux à réaliser prioritairement en maîtrise d’ouvrage directe, sans « péréquation », d’autre part.
Vérifier la cohérence interne du bilan de la ZAC
L’exemple de Pirmil-Les Isles est particulièrement édifiant. En amont de la commercialisation des charges foncières, Nantes Métropole Aménagement a souhaité vérifier précisément la cohérence interne du modèle économique de l’opération, c’est-à-dire la bonne articulation des bilans prévisionnels des opérateurs et celui de la ZAC, dans le respect de tous les cahiers des charges.
Salutaire, cette analyse a révélé plusieurs impasses financières qui auraient pu être fatales à l’ambition du projet si elles n’avaient été découvertes que pendant ou après la commercialisation. À ce stade tardif, il aurait fallu soit « déshabiller » fortement les projets architecturaux et paysagers, soit subventionner nettement plus que prévu les bailleurs sociaux et les coopératives pour leur permettre d’équilibrer leurs opérations.
Rappelons que Pirmil-Les Isles est un projet largement co-construit, dans un dispositif remarquable impliquant l’équipe de maîtrise d’œuvre urbaine (OBRAS) ainsi que de plusieurs AMO, mais aussi des bailleurs sociaux, des coopératives HLM et des promoteurs immobiliers. Le responsable de l’opération Matthias Trouillaud l’a exposé ici.
Une réflexion collective a donc pu être engagée pour rechercher des mesures d’optimisation applicables sans trop remettre en cause un projet déjà largement approuvé politiquement et donc peu modifiable. On notera que certaines de ces mesures, qui étaient déjà en germe depuis un certain temps au sein de l’équipe de conception élargie, y compris en regard de considérations « carbone », ont pu être confirmées à l’occasion de ce travail.
Optimiser ce qui peut l’être
Cet article ne prétend pas décrire précisément les évolutions effectivement apportées à Pirmil-Les Isles, mais simplement désigner les leviers étudiés et pour la plupart mis en œuvre. Cet inventaire montre qu’il s’agit de modifications substantielles, dont certaines peuvent présenter des « effets rebond » à prendre en compte.
Programmation des lots immobiliers
- Remplacement d'une partie des logements libres par des bureaux (en réponse à un besoin réel, vérifié auprès des analystes du développement économique)
- Recomposition pour permettre des péréquations mesurées entre logements libres et BRS ; réalisation d’une « dose » de logements locatifs sociaux en VEFA à prix plafonné
Parcs de stationnement
- Abaissement du nombre de places imposé par le PLU
- Suppression des parkings en sous-sol pour les construire en silo (hors opération des promoteurs) et injection des recettes d’exploitation dans le modèle économique de l’aménagement
Autres mesures d’exploitation
- Recherche de compléments de recettes locatives pour les bailleurs sociaux, en exploitation de places de parking.
- Optimisation de l’offre servicielle.
Ce qu’il faut principalement retenir, c’est que l’exercice d’optimisation est forcément beaucoup plus simple s’il est effectué en amont des décisions qui figent le projet dans sa forme et son programme.
Prendre en compte les vrais coûts de construction
D’une manière générale, à Pirmil-Les Isles ou ailleurs, les projets sont devenus tellement complexes qu’il est rigoureusement impossible d'embrasser intuitivement l’ensemble des mécanismes économiques en jeu (si cela a jamais été possible !). Il serait tout aussi illusoire de s’en remettre à quelques ratios élémentaires : il faut bel et bien dérouler le modèle économique global de l’opération d’aménagement pour tester sa viabilité.
Pour y parvenir, des données précises et à jour sont essentielles. À Pirmil-Les Isles, il faut en particulier saluer l’initiative des bailleurs et coopératives HLM pressentis pour réaliser le projet, qui ont collectivement mandaté à leurs frais deux économistes pour établir les coûts réels découlant du cahier des charges envisagé par l'aménageur.
Cela plaide pour que les aménageurs constituent et tiennent à jour des référentiels de coûts de construction, utilisables dès les premières phases de conception des projets. La même recommandation vaut d’ailleurs pour les revenus des ménages, une donnée clé pour appréhender les prix admissibles des logements libres.
Tester (avant) le réalisme des politiques publiques
Ce cas a également mis des chiffres réels en face de certains choix politiques, tels que la volonté de ne pas pratiquer de péréquation entre le logement social et le logement libre, ou encore un prix plafond au m² très bas pour le BRS.
Ces choix socio-économiques ne sont pas contestables en eux-mêmes, ils renvoient à des enjeux bien réels par ailleurs.
Or, confrontés à cet autre objectif politique incontestable qu’est la qualité durable de l’habitat au sens large, ils donnent lieu à des équations financières pouvant atteindre une grande complexité.
La démonstration de Pirmil-Les Isles devrait donc inciter les collectivités à mieux prendre en compte les déterminants économiques des projets urbains et immobiliers au moment de définir leurs politiques publiques du logement.
Pratiquer la co-conception jusque dans l’approche des coûts
Soulignons enfin l’importance de la coopération dans ce travail d’optimisation. Si nous sommes parvenus à optimiser les bilans, c’est parce que chacun y a apporté sa contribution intellectuelle et son expertise : l’aménageur, l’équipe de maîtrise d’œuvre emmenée par OBRAS, les représentants des bailleurs et des coopératives HLM déjà mentionnés, mais aussi ceux des promoteurs, avec lesquels nous avons eu des discussions analogues. Tout ceci, faut-il le rappeler, en amont de la commercialisation des charges foncières.
Mais, direz-vous peut-être : « Comment faisait-on avant pour que les modèles tournent ? ». Manifestement, en dehors de Paris et de Lyon, cette variable d’ajustement finale qu’est la solvabilité des ménages avait encore quelques réserves pour que « ça passe quand même ». Or cette capacité à encaisser les hausses trouve forcément sa limite quand tout devient plus complexe, plus rare, plus cher. Pirmil-Les Isles est peut-être le signal que nous avons changé d’époque, et que le stress test auquel ce projet a été soumis devrait devenir systématique.
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