Table-ronde – acteurs du logement, comment faire autrement ?

Le 30 mai, ADEQUATION organisait au Pavillon de l’Arsenal une table-ronde réunissant quatre représentants respectivement des aménageurs publics, des architectes, des promoteurs immobiliers et des bailleurs sociaux. Comment envisagent-ils de répondre aux défis qui sont devant eux ?

Inutile de s’appesantir sur le constat : l’heure est grave. Le parc de logements est insuffisant, mal réparti sur le territoire et sa qualité laisse beaucoup à désirer, surtout si l’on en juge par les témoignages d’habitants présentés en ouverture. Le contexte qui entoure cette dure réalité a de quoi paralyser les plus optimistes. L’urgence climatique enjoint d’atteindre la neutralité carbone en 2050, avec des logements qui, pour 80 % d’entre eux, rappelle la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes Christine Leconte, sont déjà là et devront être massivement rénovés. Les filières économiques qui devront accomplir ce travail de titan ne sont que très partiellement constituées et une grande incertitude règne aujourd’hui sur leurs capacités à s’approvisionner en matériaux à court ou moyen terme, tandis que le réemploi balbutie.

« Comment fait-on de la magie ? »

Les dysfonctionnements structurels lancinants restent entiers : les logements sont beaucoup trop chers. La solution, c’est « une somme de petites choses mises bout à bout » selon l’expression du directeur général d’EPAMARNE EPAFRANCE Laurent Girometti, ce qui la rend très difficile à mettre en œuvre, la RE2020 ajoutant sa couche de complexité.

L’éternel boulet du foncier est rendu carrément anxiogène par l’application de la ZAN. Une directrice d'EPF : « On constate actuellement de folles enchères sur le foncier, comme jamais, des attractivités territoriales nouvelles, des petits élus ruraux qui ne savent plus faire face aux sollicitations, on ne trouve plus de biens en vente sur des territoires qui étaient extrêmement détendus. Et face à cela, il faut faire plus, mieux, partenarial, moins cher […]. Comment fait-on de la magie ? […] J’espère me tromper mais je crois qu’il va y avoir des dégâts. »

L’État, the usual suspect ?

« Tant qu’on n’aura pas une dynamique impulsée par l’État, garant de l’application des lois, la loi SRU et le DALO, qui montre à chacun des acteurs l’importance qu’il accorde à la production des logements, on n’y arrivera pas » soutient le président de la Fédération nationale des associations régionales HLM Jean-Luc Vidon. Le président délégué de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers Christian Terrassoux pointe quant à lui l’application contestable des réglementations locales (qui gaspille le potentiel des PLU). Il propose de redonner des moyens aux maires bâtisseurs, en leur redistribuant une part des recettes de TVA perçues sur toute construction neuve, et invite à se saisir de la récente directive européenne incitant à baisser la TVA sur les opérations de démolition reconstruction dans le parc privé.

D’autres propositions concernent les marchés publics (les simplifier), la territorialisation des politiques publiques (mieux tenir compte des marchés locaux) ou encore l’aménagement du territoire (en faire !). Christine Leconte suggère que l’État devrait, au travers de la rénovation des bâtiments publics, investir dans la structuration de filières au lieu de se contenter de subventionner les travaux. Mais, comme le rappelle l’animateur Frédéric Gilli, on n’est pas là pour faire le procès des absents, n’est-ce pas d’ailleurs se réfugier derrière une « solution de facilité ? » Si ni l’État ni les collectivités territoriales ne sont autour de la table, c’est pour placer les « opérateurs » devant leurs propres responsabilités.

Créer du collectif, construire un récit

Alors, que peuvent-ils faire ? « Sortir des vieilles recettes » plaide Laurent Girometti, et «créer du collectif », avec les usagers, mais pas seulement. Cela prend du temps, mais c’est nécessaire pour sortir des postures figées. Il faut en particulier prendre la mesure de ce qu’implique la construction, désormais, « dans l’enveloppe urbaine existante », souligne Christine Leconte. Chaque opération devra faire la preuve qu’elle apporte au voisinage non pas une nuisance mais une amélioration du cadre de vie. D’où des besoins importants d’ingénierie dans le diffus et la capacité à «construire un récit», dont les élus manquent cruellement.

Soutenir les pionniers et faire évoluer le rapport au risque

S’il s’agit bien, ce que nul ne conteste, de déconstruire le modèle de la production de logement pour mieux le reconstruire, il est urgent de soutenir les pionniers qui inventent à leur échelle des solutions nouvelles de tous ordres (démembrement, habitat participatif social ou non, réinvestissement de l’existant, auto-promotion…). Un participant parle de faire « évoluer le rapport au risque » et de « donner du pouvoir d’agir aux territoires et aux habitants ». Exit le benchmark, place à l’expérimentation, notamment via l’urbanisme transitoire. À quoi Jean-Luc Vidon applaudit, avant d’observer que les stratégies ont changé de tempo. Le temps long… n’existe plus : 2050, c’est demain !

La propriété en question ?

De fait, il y a urgence. Un exemple parmi tant d’autres, soulevé par l’association Plurience : à très court terme, selon ses estimations, ce sont 1,8 million de logements privés qui pourraient sortir de la location si leurs propriétaires ne procèdent pas aux travaux de rénovation énergétiques imposés (étiquettes F et G). L’impact sur l’accès au logement n’est donc pas négligeable, et il dépend de l’investissement d’une foule anonyme de particuliers propriétaires ou copropriétaires qui n’y sont clairement pas préparés. Cela invite, glisse Laurent Girometti, à « redéfinir la copropriété » voire à « concentrer un peu plus la propriété » pour faciliter les investissements. Christian Terrassoux n’imagine pas « priver les Français de la propriété » et préfèrerait doter les propriétaires bailleurs du « vrai statut » qui leur fait défaut.


© Florent Drillon

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