Déchets de chantier : vers un changement de modèle

Dans les bilans de travaux, le poste déchets monte en flèche et ce n'est pas près de s'arrêter. Dans la rénovation, la déconstruction minutieuse finira par supplanter le curage brutal. La jeune société Tri'n'Collect a donc conçu un nouveau métier : celui de coordonnateur matière sur chantier. Nous en parlons avec Édouard Lefèvre, cofondateur et directeur général de Tri'n'Collect.

Équipe ADEQUATION

Publié le 23/05/2023

 
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En deux mots, que fait Tri'n'Collect ?

Édouard LefèvreTri'n'Collect propose aux entreprises du bâtiment des solutions de tri, de collecte et de valorisation de leurs déchets. Nous avons commencé dans la maison individuelle avant d'aller vers les chantiers de logements collectifs, entre autres, et nous faisons maintenant également de la déconstruction sélective à l'intérieur des bâtiments. 

Dans ce domaine, nous sommes assez fiers d'atteindre sur certains chantiers un taux de recyclage de 90 % dont un taux de réemploi de 30 %. Nous y parvenons grâce au tri à la source, par des contenants adaptés placés au plus près des ouvriers, et à l'identification de filières locales de recyclage et de réemploi.

Quels sont les enjeux du tri et de la valorisation des déchets de chantier pour les entreprises ? 

C'est une obligation réglementaire de plus en plus contraignante et coûteuse. Depuis juillet 2021, la traçabilité et le tri sélectif des déchets selon 7 flux[1] sont obligatoires sur tous les chantiers. Les quotas de matières pouvant être enfouies seront divisés par deux en 2025 par rapport à 2010. La TGAP [taxe générale sur les activités polluantes] va progressivement croître de 261 % entre 2020 et 2025, pour les déchets de chantier en mélange. Les collecteurs traditionnels ont donc considérablement augmenté leurs prix. Dans la région nantaise, le prix à la tonne de déchets en mélange est passé de 90 € en 2019 à 220 € aujourd'hui et il ne devrait pas tarder à atteindre 280 € à 300 €. L'impact sur les coûts de travaux tourne déjà autour de 0,75 %.

Il faut ajouter que la responsabilité élargie des producteurs est entrée en vigueur au 1er mai 2023 pour les matériaux de construction. Elle va permettre aux entreprises, dans certaines conditions, de faire collecter gratuitement leurs déchets s'ils sont triés.  

Mais elles vont aussi devoir payer une éco-participation à l'achat des matériaux. Le coût des travaux va certainement en être alourdi, même si le bilan financier est difficile à établir précisément. Cela va en revanche inciter au tri, mais il faut souligner que cela ne concerne pas les déchets d'emballage, qui représentent à peu près la moitié des déchets de chantier dans la construction neuve.

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L'enjeu d'image n'est pas négligeable non plus pour les entreprises et pour les opérateurs immobiliers, qu'il s'agisse de responsabilité environnementale, de propreté des chantiers ou de conditions de travail. Pour les ouvriers, avoir les contenants sur la zone de travail est moins pénible et incite à trier. Pour les riverains, ces contenants les protègent de toutes les nuisances inhérentes aux déchets en mélange : saleté, feu…

Quelles sont les particularités des chantiers de rénovation ou de restructuration de bâtiments ?

La même réglementation et le même régime de taxe s'appliquent en matière de tri, à quoi s'ajoute l'obligation de réaliser un diagnostic PEMD (produits, équipements, matériaux, déchets) si le bâtiment fait plus de 1000 m². Il consiste à identifier les éléments en question et à exposer une manière de les valoriser. Cela exige un vrai savoir-faire notamment en ce qui concerne les filières de valorisation.

La déconstruction sélective représente encore moins de 10 % de l'activité de Tri'n'Collect, mais nous sentons une dynamique impressionnante, en particulier dans les grandes agglomérations où la pénurie foncière et l'hostilité des habitants à la construction neuve favorisent la rénovation. La déconstruction sélective, qui est évidemment essentielle pour l'économie circulaire du bâtiment, ne pourra toutefois se déployer que si tout le monde est impliqué : les maîtres d'ouvrage, les collectivités, les entreprises traditionnelles, les entreprises innovantes et celles de l'économie sociale et solidaire. Ces dernières sont importantes car elles assurent une bonne part du réemploi, par la collecte sur les chantiers et la vente en ressourcerie. On trouve aussi beaucoup de personnes en insertion professionnelle dans ces filières. L'enjeu social n'est donc pas négligeable.

Dans quelle mesure ces enjeux sont-ils correctement pris en compte ?

La réglementation encourage ainsi un gestion vertueuse des déchets grâce au tri à la source. Mais, une fois les déchets triés, se pose la question de leur valorisation. Rappelons que la hiérarchie des modes de traitement prévoit de privilégier le recyclage, la valorisation, puis l’incinération ou l’enfouissement.

Malheureusement le terme valorisation est communément employé pour désigner aussi bien, le recyclage, le comblement de carrière, l'incinération, puisqu'elle produit de la chaleur, que dans certains cas l'enfouissement, qui va produire du biogaz !

Dans ces conditions, il n'est pas si difficile de se vanter de valoriser jusqu'à 70 % de ses déchets. Dans les faits, l'ADEME indique que seulement 20 % des déchets non-inertes du bâtiment sont valorisés. Tri'n'Collect arrive à un taux de recyclage de 75% et atteint 90 % en incluant la valorisation.

Quel rôle jouent les maîtres d'ouvrage, les collectivités, les aménageurs ?

Les acteurs clés sont aujourd'hui les maîtres d'ouvrage, juridiquement responsables. Les opérateurs immobiliers sont sensibles à ces questions, mais il leur faut encore changer leurs habitudes et notamment intégrer systématiquement une prestation de tri dans les dossiers de consultation des entreprises. Cela finira par arriver parce qu'il n'y a pas d'autre solution : la société ne peut pas continuer à produire autant de déchets.

Les collectivités et les aménageurs pourraient certainement être plus prescripteurs mais, malheureusement, on observe une certaine inertie de leur part. À leur décharge, il faut reconnaître qu'il est difficile de prescrire des règles de recyclage et de réemploi quand on sait qu’il existe peu de solutions opérationnelles pour assurer le tri à la source et que les filières ne sont pas tout à fait matures. C'est pour cela qu'il est important de montrer que les solutions existent.

Ce qui manque, en fait, c'est la capacité à faire. Il y a 46 millions de tonnes de déchets de chantier à traiter chaque année. L'état d'esprit des acteurs est en train de changer, des solutions techniques existent, mais le modèle ne peut pas muter du jour au lendemain.

Y a-t-il des recettes à attendre de la valorisation ?

À ce jour non, du moins pas tant que les fabricants ne se voient pas imposer une part de matériaux recyclés d'origine locale dans leurs produits, et encore, il faudrait pouvoir amortir des coûts de traitement et de logistique et composer avec des cours de matière très fluctuants. Néanmoins, nous constatons que de plus en plus d'industriels qui lancent leurs propres programmes de recyclage. De nouvelles filières de valorisation se structurent pour capter plus de flux et mieux recycler la matière permettant aussi de questionner l’éco-conception des produits dit complexes.

En ce qui concerne le réemploi, bien que cela reste encore marginal, certains matériaux peuvent être réutilisés, notamment dans la rénovation ou la restructuration des bureaux. Un signal intéressant est celui des dalles de plancher technique qui se vendent au prix du neuf, car leur réemploi améliore le bilan carbone de la construction donc permet plus facilement d'atteindre la certification BREEAM ou de respecter la RE2020.

Dans l'ensemble, ces initiatives démontrent une évolution positive vers des pratiques plus durables dans le secteur de la construction, favorisant le recyclage des matériaux et le réemploi des produits, tout en réduisant l'empreinte carbone de l'industrie du bâtiment.


[1] Gravats, plastique, bois, verre, acier, carton et plâtre. Tri'n'Collect va plus loin avec 15 flux, en différenciant par exemple des natures de plastique : PVC polystyrène, etc.

© Adobe

Propos recueillis le 5 mai 2023 par Jeanne Bazard et Olivier Conus.

guinardmer, 05/31/2023 - 09:21

merci pour mon inscription

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