Comment la Fab revisite sa stratégie au service du logement abordable

À Bordeaux, la SPL La Fabrique de Bordeaux Métropole (La Fab) s'est récemment interrogée sur la justesse de sa démarche en faveur du logement abordable. Cela donne une étude et des préconisations précises que Jérôme Goze, directeur général délégué, et Valérie Jamet, directrice de l'ingénierie foncière, détaillent pour nous.

Équipe ADEQUATION

Publié le 15/02/2023

 
jerome goze

Quelle place occupe le logement dans la mission de La Fab ?

Jérôme Goze. La Fab a été créée en 2012 pour mettre en œuvre le programme "50 000 logements autour des axes de transports collectifs", renommé depuis "Habiter, s'épanouir – 50 000 logements accessibles par nature", confié par Bordeaux Métropole dans le but de créer des logements sur le territoire des désormais 28 communes, dans des secteurs desservis par les nouvelles lignes de tramway, bus à haut niveau de service (BHNS) et demain gares du RER métropolitains.  

Par la suite, elle s'est également vu confier le programme "Entreprendre,  travailler dans la métropole", qui porte sur le développement d'une offre de locaux professionnels à destination des PME/PMI et des artisans. Ces deux programmes visent à loger les ménages et les entreprises dans les centres urbains pour lutter contre l'éviction par les prix, et par là contre l'émiettement urbain en périphérie et la congestion des axes routiers qui en résultent. Notre feuille de route de départ était de produire 60 % de logements à prix maîtrisés, en cela compris le logement social.

Dans la programmation de ses opérations, La Fab emploie le terme d'accession aidée : que faut-il entendre par là ?

Valérie Jamet. Ce terme regroupe les formes d'accession à la propriété soutenues par l'État et les collectivités territoriales que nous proposons dans nos opérations : le PSLA, le BRS, le PLI accession (marginalement) et un dispositif que nous avons conçu et appelons accession abordable.

valerie jamet

Cette accession abordable est ciblée sur les ménages aux revenus compris entre les plafonds de ressources du PSLA et ceux du PTZ, augmentés de 20 %. Jusqu’ici, nous demandions aux promoteurs de ne pas dépasser un prix de vente de 2 500 €/m2, avec une marge d'adaptation aux contraintes des opérations. Par ailleurs, la revente de ces logements est encadrée avec l'obligation de restituer la plus-value si elle intervient dans les cinq ans. Ensuite, cette restitution bénéficie d'un abattement de 20 % par année, ce qui fait que le vendeur conserve l'intégralité du produit de la vente à partir de la 10e année.

Pourquoi ce prix initial de 2500 €/m2 ?

J.G. C'est celui qui correspondait aux capacités budgétaires des ménages que nous ciblions par l'accession abordable en 2012. Le prix du marché était alors autour de 3000 €/m2 à 3500 €/m2.

Combien de logements ont été produits en accession abordable ?

J.G. 5 900 logements sont engagés dans les opérations pilotées par La Fab, dont 4 400 sont encore en chantier ou en instruction de permis de construire, sur une programmation de près de 11 000 logements. La part de logements abordables représente 12 % des logements produits depuis 2012 dans les opérations de La Fab, ce qui est cohérent avec notre objectif initial qui se situait entre 10 % et 15 %

En 2022, vous avez réinterrogé ce dispositif d'accession abordable, et d'une manière générale votre politique d'accession aidée : pourquoi ?

J.G.  Il nous a semblé opportun de le faire avec le recul de 10 ans que nous avions. Les conditions d'accès au logement dans la métropole se sont-elles améliorées ? Pas vraiment, avec en particulier 48 000 demandes de logement social non satisfaites, même si cela aurait sans doute été pire si nous n'avions rien fait. Le contexte général a-t-il changé ? Certainement, ne serait-ce que parce que la population métropolitaine augmente d’environ 12 000 personnes chaque année depuis 10 ans.

V.J.  Nous avions aussi de bonnes raisons de réinterroger notre prix cible de 2 500 €/m2. Les promoteurs commençaient à nous informer de leurs difficultés à boucler leur bilan, et plus récemment à déclarer les opérations infaisables à ces conditions. Il nous a fallu trouver des solutions, accepter de dépasser le prix cible, réduire la part d’abordable, basculer en BRS… Nous nous sommes donc demandé quel prix de sortie pouvaient supporter les ménages visés par l’accession abordable, ce qui nous a engagés à réactualiser notre connaissance des ménages métropolitains, de l’évolution de leur revenu, de leur taille, de leur composition et de leurs besoins.

À cela s'est ajouté à partir de 2016 un nouveau « produit » de l’accession aidée : le BRS. Enfin, est arrivé un moment où les logements proposés en PSLA par les bailleurs sociaux étaient plus chers que les logements en accession abordable (3 000 €/m2), ce qui devenait absurde puisqu'ils étaient réservés à des cibles aux revenus moindres !

C'est comme cela que, avec l'aide d'ADEQUATION, nous avons examiné les évolutions démographiques et sociales intervenues sur la métropole depuis 10 ans, puis redéfini notre stratégie de programmation en fonction des nouveaux besoins et des capacités budgétaires des ménages que nous avons identifiés.

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Extrait du livret "Habiter et s'épanouir sur la métropole : à quel(s) prix ? Éléments de réponse et préconisation", page 8. © La Fab, décembre 2022

Qu'avez-vous constaté ?

J.G.  Un fait majeur est que la taille des ménages a fortement diminué. Certes, les ménages de 5 personnes ou plus ont toujours du mal à se loger, mais c'est aussi le cas des familles monoparentales dont le nombre a littéralement explosé. Cela remet en cause le principe qui prévalait en 2012 et qui avait guidé notre stratégie, selon lequel nous devions loger prioritairement des familles. Par ailleurs, le revenu moyen a augmenté, mais il a diminué dans les deux premiers déciles, ce qui indique que la part du logement social devrait être bien supérieure à 20 % ou 25 % pour répondre à la demande. En fonction de là où on se trouve, elle devrait être au moins à 30 %, sinon 40 %.

Vous avez donc proposé aux administrateurs de revoir le dispositif d'accession abordable de La Fab ?

J.G.  Réinterroger nos dispositifs d’accession abordable au sein des opérations qui nous sont confiées par Bordeaux Métropole est une interrogation éminemment politique. Cette question se doit d’être traitée par les administrateurs de l’entreprise, et par notre actionnaire majoritaire qu’est Bordeaux Métropole.

V.J.  Nous conservons le ciblage des revenus en dessous du plafond du PTZ + 20 %, qui reste apparemment pertinent, même si nous sommes impatients de pouvoir actualiser les données INSEE sur les revenus des ménages qui datent de 2019. Mais la nouveauté est que nous raisonnons maintenant par taille de ménage, car nous nous sommes rendus compte qu'elle avait une importance énorme. Le PTZ +20 % nous permet de toucher jusqu'au 6e ou 7e décile de revenus en suivant la taille des ménages. Les ménages d'une personne restent favorisés par les dispositifs d’accession tant abordable que sociale. Pour le moment, nous n'avons pas encore redéfini nos programmations, mais nous savons que nous allons devoir faire correspondre la diminution de la taille des ménages et les typologies correspondantes.

Comment allez-vous tenir compte de la taille des ménages ?

J.G.  Nous devrions programmer plus de petits logements, ce qui ne se fera pas sans l‘avis des communes. En 2012, le besoin de logements de type T3/T4 pour des familles de couples avec enfants avait été bien documenté, par les PLH, par les rapports des CCAS ou les études de l'agence d'urbanisme (a’urba). Il était cohérent avec les souhaits des communes de rendre plus efficients leurs équipements scolaires. C'est ce schéma qui est remis en cause par l'évolution démographique de la métropole et il faudra peut-être un peu de temps pour que l'idée chemine.

Un autre apport de ce travail est la conviction qu'il faut désormais adapter de plus en plus finement la programmation à la réalité des marchés, voire des micro-marchés à l'intérieur d'une commune, pour que la demande soit prise en compte par l'offre. Nous devons aller vers un réglage de plus en plus fin des curseurs de seuils et de prix. L’attention portée aux besoins des territoires est aussi une condition de l'acceptabilité sociale des projets, qui va de moins en moins de soi, et rend de plus en plus difficile la réalisation des projets immobiliers.

Et le prix de l'accession abordable stricto sensu, l'avez-vous fait évoluer ?

V.J. La question que nous nous sommes posée est la suivante : "Quel doit être le prix d'un logement adapté aux revenus et à la taille des ménages ?" Nous avons regardé cela pour chaque taille de ménage dans chaque décile et cela nous a donné des couples surface/prix finançables par ces ménages. Dans les conditions d'apport et de taux d'intérêt que nous avions retenues par ailleurs, ces simulations conduisaient, pour notre cible [revenus jusqu'au plafond du PTZ + 20 %], à un prix abordable situé entre 3 000 €/m2 et 3 500 €/m2. Il est bien clair toutefois que dès la parution des données INSEE 2020, nous allons devoir mettre à jour nos calculs pour intégrer les évolutions de la conjoncture macro-économique depuis le début de 2023.

Par ailleurs, nous avons durci les clauses anti-spéculatives en supprimant les cas d'exonération de reversement de la plus-value, tels que la naissance d'un enfant, le chômage, les mutations ou les situations pour lesquelles les ménages sont assurés telles que le décès ou le handicap.

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Cas des ménages de 3 personnes. Extrait du livret "Habiter et s'épanouir sur la métropole : à quel(s) prix ? Éléments de réponse et préconisation", page 14. © La Fab, décembre 2022

La nouvelle approche de La Fab pour loger tous les ménages consiste donc à doser et articuler finement à la fois des typologies, des niveaux de prix et des montages pour répondre aux besoins et coller à la réalité des marchés ?

J.G. Tout à fait. Nous conservons du PSLA dans certains territoires, en alternative au BRS. Pour ce dernier, même si les plafonds de prix du bâti ont été rehaussés dernièrement à 3 522 € TTC/m2 SU (en zone B1) et si les opérateurs demandent à pouvoir s'y aligner, nous considérons que le juste prix est à 2 800 € en regard des capacités budgétaires des ménages cibles. Si ce n'est pas possible, il vaut peut-être mieux augmenter la part de logements sociaux en PLS. Encore une fois, le principe pour nous c'est de trouver des solutions pour l'ensemble des déciles.

V.J. Il ne faut pas oublier le montant de la redevance. Nous tenons à ce qu'il soit le plus faible possible parce qu'elle n'est jamais récupérée par les ménages. Il vaut infiniment mieux que leur effort aille au remboursement du prêt immobilier, dont la contrepartie est un actif immobilier revendable, plutôt qu'au paiement d'une redevance à fonds perdus. Une redevance à 1 € nous semble raisonnable pour les OFS, dans la mesure où la règlementation est très souple quant aux coûts que l'on peut imputer ou non au bilan foncier des opérations, et celui-ci peut donc être allégé.

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Dispositifs applicables suivant les déciles de revenu des ménages. Extrait du livret "Habiter et s'épanouir sur la métropole : à quel(s) prix ? Éléments de réponse et préconisation", page 20. © La Fab, décembre 2022

Vous avez publié tous ces éléments dans deux livrets très détaillés, à l'attention notamment des élus de Bordeaux Métropole. Quelle est leur position sur ce sujet ?

J.G. En effet, nous avons souhaité diffuser largement cet approfondissement de notre connaissance des destinataires de notre action, les ménages. Le premier livret apporte des clés de lecture pour décider et agir et le second des préconisations". [1]

La mécanique du logement est très complexe, il faut la décortiquer pour bien faire comprendre les processus, entendre ce que les promoteurs et les bailleurs ont à nous dire, et partager collectivement cette culture. Et puis il faut répéter le sens de notre action : loger les gens, tous les gens. Quand nous expliquons que les personnes à qui nous destinons l'accession abordable, les professeurs des écoles, les infirmiers par exemples, sont peut-être ceux qui rendent le plus de service à la métropole, nous rencontrons rapidement un consensus politique sur le bien-fondé de notre action.

V.J. Quand il devient impossible pour un cuisinier de travailler à Bordeaux parce qu'il serait obligé de se loger loin du centre et des transports en commun qui circulent le soir et la nuit, on comprend que c'est notre cadre de vie à tous qui est en jeu à travers l'offre de logement.

J.G. Et le ZAN vient réaffirmer pour des raisons environnementales la nécessité de construire dans les centres urbains constitués. De ce point de vue, on peut rappeler que le programme « 50 000 logements » que nous mettons en œuvre depuis 2012 permet de ne pas consommer 5 400 hectares de campagne, soit l’équivalent de la superficie du nouveau parc des Jalles qui s’étend de Saint-Médard-en-Jalles à Bordeaux.

Ces livrets s'adressent aussi aux promoteurs ?

J.G. Oui. Nous devons leur expliquer comment la commande politique de nos élus se traduit en commande programmatique et financière dans nos cahiers des charges. J'en profite pour rappeler un invariant depuis 2012 : la qualité des logements. Là-dessus, notre stratégie n'a absolument pas bougé, bien au contraire. Un logement durable est un logement de qualité, prenant en compte les doubles orientations, les espaces extérieurs du logement, des espaces plus généreux…

V.J. Nous avons même eu tendance à relever notre niveau d'exigence, puisque l'enjeu est de proposer des logements collectifs capables de rivaliser avec le logement individuel en termes d'attractivité. Si l'on veut faire accepter une plus grande densité, il faut proposer de la qualité, et en particulier soigner les espaces extérieurs privatifs et le lien avec l’espace public.

Et pour le grand public ?

J.G. C'est notre troisième cible, même si le propos est très technique. Mais il nous paraît important de documenter les concertations en mettant ces données à disposition. Les débats font apparaître des postures très tranchées entre "On ne veut pas de nouveaux logements près de chez nous" et "On n'arrive plus à se loger sur la métropole". Il est important que les termes du débat soient bien posés.

Vos propositions sont-elles à considérer comme la nouvelle règle ?

J.G. Elles sont soutenues et comprises au niveau métropolitain, mais cela ne vaut pas application automatique dans les communes avec lesquelles nous travaillons. Chaque situation urbaine s’examine différemment, nous allons forcément discuter avec elles de la granulométrie de ce que nous proposons. Cet outil nous permet de le faire : nous voulons aller vers des programmations non pas faciles, mais justes.

 


[1] Les livrets "Le logement sur Bordeaux Métropole : les clés de lecture pour décider et agir" et "Habiter et s'épanouir sur la métropole : à quel(s) prix ? Éléments de réponse et préconisations" sont téléchargeables sur lafab-bm.fr

Propos recueillis par Jeanne Bazard et Juliette Ferreyrol

© john-doyle - Unsplash 

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