Tension accrue à venir pour les marchés locatifs de l'après Pinel

Même si les volumes appelés à disparaître peuvent sembler faibles rapportés à la taille du parc locatif privé, le tarissement de l’investissement locatif des particuliers viendra tendre encore une situation déjà préoccupante pour les locataires, et ce plus vite que prévu.  

Olivier Conus

Publié le 10/11/2023

 

L’investissement locatif Pinel semble s’éteindre de lui-même, anticipant sa disparition programmée fin 2024. Ainsi, les ventes à investisseurs[1], qui représentaient encore près de la moitié des ventes au détail de la promotion immobilière avec 62 000 logements en 2019 (année de référence pré-covid)[2], devraient chuter autour de 25 000 ventes en 2023.

Ces chiffres sont à rapporter au parc locatif privé, qui était d’environ 6,9 millions de logements en 2019[3]. Cette même année, les 62 000 logements neufs réservés par des investisseurs ont donc représenté un flux entrant de l’ordre de 1%. Une proportion modeste qui joue pourtant un rôle important comme nous allons le voir.

Enseignements tirés de la fin du Pinel en zone B2

Rappelons que les communes classées en zone B2 ont perdu leur éligibilité au Pinel au 31 décembre 2018[4]. Ce précédent nous fournit un cas d’école pour analyser les conséquences de l’arrêt du dispositif.

En seulement 12 mois, on a observé une chute brutale des ventes totales en promotion immobilière dans ces communes (-29 % entre 2018 et 2019), et une chute nettement plus marquée des ventes à investisseurs (-49 %), tandis que les unes et les autres se maintenaient sur le reste du territoire.

Illustration - Promotion immobilière
Promotion immobilière

source : ADEQUATION Plateforme Promotion France

La question que nous nous posons ici est celle de l’impact de cet événement sur les marchés locatifs des communes concernées. Nous avons retenu trois indicateurs pour l’analyser rétrospectivement sur les six principales communes classées en B2[5] :

  • l’évolution des loyers des biens proposés à la location,
  • le nombre d’annonces,
  • leur durée de publication.

Nous sommes remontés à l’automne 2017, date de l’annonce de la disparition programmée de l’éligibilité des territoires B2 au dispositif Pinel. Les données sont issues de la solution Yanport[6], que nous remercions pour sa collaboration à la présente analyse. 

Premier constat : la fin de l’éligibilité au Pinel n’a pas eu d’impact visible sur les loyers à l’offre. Ils ont continué à croître (+23 % en moyenne sur environ 6 ans) de manière comparable à la tendance nationale (+20 %), avec l’exception notable de Cherbourg, où la croissance des loyers a été deux fois plus élevée que sur le reste du territoire.

Illustration - logement collectif évolutions loyer
logement collectif évolutions loyer

source : YANPORT

Second constat, les durées de publication des annonces ont sensiblement diminué -56 % contre -44 % à l’échelle nationale. Dans nos six villes, les durées sont toutes inférieures à la moyenne nationale, et l’écart se creuse depuis 2019.

Illustration - appartement collectif evolutions
appartement collectif evolutions

source : YANPORT

Troisième constat, l’offre locative s’est sensiblement raréfiée, avec un volume d’annonces en moyenne 40 % à 50 % plus faible en 2023 qu’en 2017, alors que la baisse n’a été “que” de 30 % à l’échelle nationale.

Illustration - annonce locatives evolutions
annonce locatives evolutions

source : YANPORT

Les ventes aux investisseurs d’aujourd’hui sont les logements locatifs de demain

La fin de l’éligibilité des communes classées en B2 au dispositif Pinel semble ainsi bel et bien avoir tendu leur marché locatif. Certes, ces communes aux profils hétérogènes ne sont pas représentatives du marché national et il n’est pas possible de tirer de cette rapide analyse plus de conclusions qu’elle ne peut en donner.

En particulier, on pourra objecter qu’il n’y a pas de raison de limiter l’analyse au marché locatif privé en raison de sa porosité avec celui du logement aidé, et que le relais des particuliers investisseurs, ces dernières années, aurait été pris par les bailleurs sociaux et les institutionnels du logement intermédiaire, notamment via les ventes en bloc de la promotion immobilière vers ces acteurs. 

Or, que ce soit sur le segment social, directement impacté par la baisse d'activité en promotion immobilière pour les opérations en VEFA, ou pour l'investissement institutionnel, les volumes 2023 seront probablement plus modestes que sur les années précédentes, et ce malgré le rachat programmé par Action Logement et CDC-Habitat de 47 000 logements, dont les impacts seront dilués sur plusieurs années.

L’effondrement déjà réel des ventes de logements neufs à investisseurs aura donc forcément un effet amplificateur des tensions déjà présentes sur les marchés locatifs. Une question est de savoir quand.

En général, il s’écoule en moyenne environ 2 ans entre la réservation d’un logement neuf par un investisseur et sa mise en location (correspondant à peu de chose près à sa livraison). Le graphique ci-dessous l’illustre pour l’année 2019, non impactée par la crise sanitaire. En conséquence, l’effondrement des ventes à investisseurs au 1er semestre 2023 (qui a débuté en réalité dès la mi-année 2022) se manifestera majoritairement en 2025, voire un peu plus tôt car le ralentissement de l’activité allonge les délais de livraison (report des livraisons de l’année n+1).

Illustration - logements neufs promotion vendus
logements neufs promotion vendus

source : ADEQUATION Plateforme Promotion France

Lecture du graphique. 41% des logements neufs réservés en 2019 ont été livrés en 2021. De même, respectivement 25% des logements réservés en 2019 ont été livrés en 2020, et 21% en 2022.

Bien d’autres motifs de tension

Cette analyse ne saurait évidemment faire oublier que les motifs de tension des marchés locatifs sont légion et cumulent ou cumuleront leurs effets :

  • insolvabilité des locataires actuels pour accéder à la propriété (non rotation)
  • production de logements sociaux inférieure aux objectifs,
  • hypertrophie du segment meublé et de la location saisonnière,
  • et bientôt “sortie” des passoires énergétiques….

L’analyse des données collectées par Yanport montre d’ailleurs clairement une accentuation sensible des tensions ces derniers mois. 

  • Les niveaux de loyers (à l’offre)[7] n’ont cessé de progresser : +10% entre 2016 et fin 2020 (60 mois) et encore +10% entre début 2021 et l’été 2023 (sur une période deux fois plus courte).                                                                                                       
  • La durée moyenne de publication des annonces est passée de plus d’un mois en 2017 à moins de 18 jours à l’été 2023.          
  • Le nombre d’annonces, relativement stable entre 2016 et 2021 inclus, a chuté dans des proportions importantes : - 33% entre l’été 2021 et l’été 2023.  
Illustration - marchés locatifs france
marchés locatifs france

source : YANPORT


[1] Pour la plupart dans le cadre du dispositif Pinel, même s’il n’existe pas de sources disponibles pour connaître le choix fiscal fait par les ménages investisseurs.

[2] Source : FPI France

[3] Statut d'occupation des résidences principales | Insee

[4] Seuls certains territoires bretons sont restés éligibles à partir de 2020, dans le cadre d’un dispositif expérimental dit « Pinel Breton »

[5] Soit Saint-Étienne (174 000 habitants), Le Mans (145 000), Besançon (139 000), Dunkerque (87 000), Béziers (79 000) et Cherbourg-en-Cotentin (78 000). Brest (140 000) n’a pas été retenue ici, compte tenu du régime spécifique applicable au titre du “Pinel breton” à partir de 2020. À noter que la plupart de ces communes ont été reclassées en B1 lors de la réforme du zonage d’octobre 2023.

[6] https://www.yanport.com/

[7] NB : si les loyers sont encadrés, à la mise en location, de manière plus ou moins stricte (zones tendues et logements énergivores) ils reflètent néanmoins la tension qui existe sur les marchés.
 En quoi consiste l'encadrement des loyers à respecter en zone tendue ? | Service-public.fr
 Interdiction à la location des logements avec une forte consommation d'énergie | gouvernement.fr

Nous remercions YANPORT pour sa contribution. Pour plus d'informations : https://www.yanport.com/

© Pawel Nolbert - unsplash

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