L'investissement responsable des particuliers, marché émergent pour la promotion immobilière

Anne-Sophie Thomas a co-fondé en 2020 une agence immobilière responsable, présente aujourd'hui à Lyon, Grenoble et Paris. Agréée ESUS (entreprise solidaire d'utilité sociale) Gestia Solidaire a pour mission de créer du logement abordable pour tous. Elle emploie pour cela un double dispositif d’aides qui commence à intéresser les acteurs de la filière.

Que faut-il entendre par "créer du logement abordable pour tous" ?

Anne-sophie thomas

 

Anne-Sophie ThomasNous traitons le mal-logement invisible, celui qui touche des personnes solvables ayant des revenus tous les mois, mais pas de garantie : nos clients locataires sont principalement les étudiants sans garants, les familles monoparentales et les actifs sans CDI. 

Notre idée a été de créer un cercle vertueux en alignant les intérêts des propriétaires-bailleurs et des locataires : avec la solution que nous proposons, le propriétaire bénéficie d'une défiscalisation et de la garantie Visale de paiement des loyers, tandis que le locataire trouve un logement grâce à cette caution infaillible de l'État, via Action Logement. La garantie Visale ne concernait au début que les jeunes, mais elle a été étendue à tous les actifs qui gagnent moins de 1500 € nets par mois, et qui représentent 90 % de notre clientèle.

Cette solution passe notamment par le dispositif Loc'Avantages : en quoi consiste-t-il ?

Loc'Avantages a été introduit par la loi Cosse de 2017. Cette loi de défiscalisation est passée relativement inaperçue malgré son intérêt. La défiscalisation consiste ici en une réduction d’impôt calculée sur les loyers générés (15 % à 60 %) pour les bailleurs pratiquant des loyers inférieurs aux prix du marché, dans le cadre d'un conventionnement avec l'ANAH[1] d'une durée de six ans minimum. Le bailleur a l’obligation de louer à une personne qui a des revenus définis par une grille selon le niveau de réduction choisi.

Comment les loyers de marché de référence sont-ils établis ?

La loi de finances de 2023 a introduit des modifications à la loi Cosse. À l'origine, les loyers de référence étaient établis nationalement et ajustés localement par les collectivités locales. Cela fonctionnait plutôt mal, certains propriétaires étaient en fait désavantagés tandis que d'autres bénéficiaient de la défiscalisation tout en louant au-dessus des prix réels du marché. Depuis cette réforme, ce sont les observatoires locaux institués par la loi ALUR qui fournissent les loyers plafonnés en se basant sur les loyers du marché.

Vous entrez l'adresse du bien dans un simulateur en ligne qui vous fournit trois loyers plafonds, qui correspondent chacun à un taux d'abattement fiscal, de 15 % à 60 % selon le loyer pratiqué : plus il est bas par rapport au marché, plus l'abattement est élevé. En fait, l'abattement permet de compenser le manque à gagner de revenu locatif pour le propriétaire.

Vous conseillez à vos clients investisseurs/bailleurs de profiter également des avantages du PLS…

Oui. Au départ, nous travaillions avec des bailleurs déjà propriétaires, puis nous avons eu l'idée de toucher de potentiels investisseurs dans le neuf en combinant le dispositif Loc'Avantages avec le prêt locatif social (PLS). Dans les zones tendues, les investisseurs particuliers peuvent en effet bénéficier d'un PLS pour l'achat d'un logement neuf à condition de louer le bien avec Loc'avantages en conventionnement avec l'ANAH. La durée du conventionnement est alors au minimum de 15 ans, ce qui correspond à la durée minimum du prêt.

Quels sont les avantages supplémentaires du PLS ?

Pour commencer, l'investisseur bénéficie d'un taux avantageux puisque indexé sur celui du Livret A, donc inférieur aux taux des banques commerciales. Il est actuellement de 3 % et l'État s'est engagé à ne pas l'augmenter ; sachant que si les taux directeurs devaient baisser, celui du Livret A ferait de même.

Sur le plan fiscal, le PLS donne droit à deux avantages : une TVA réduite à 10 % et l'exonération de la taxe foncière sur la propriété bâtie sur la durée du conventionnement avec l'ANAH. À quoi s'ajoute donc la défiscalisation Loc'Avantages, qui consiste comme on l'a dit en une réduction d’impôts sur les loyers générés.

Travaillez-vous avec des promoteurs pour proposer des logements neufs à vos clients investisseurs ?

Oui, nous avons commencé à nous rapprocher de promoteurs pour leur proposer de commercialiser une partie de leurs programmes suivant ce montage, avec également une offre de gestion pour les futurs investisseurs. Comme à Rillieux-la-Pape, dans la métropole de Lyon, où nous commercialisons 14 logements avec le promoteur Noaho.

Le programme immobilier neuf "Balcon de Sermenaz" de Noaho, à Rillieux-la-Pape dans la métropole de Lyon, comprend 14 logements destinés à l'investissement locatif solidaire, allant du T3 au T4. Ces logements seront commercialisés et gérés par GESTIA Solidaire.

noaho premieres loges logh

Pour l'investisseur, quels sont les avantages comparés du Pinel et du PLS + Loc'Avantages ?

Ce sont deux dispositifs très différents. Le Pinel défiscalise l'investissement dans une logique d'amortissement, tandis que Loc'Avantages défiscalise les revenus locatifs. Mais Le PLS a l’avantage d’offrir une TVA à 10 % sur l'achat d'un logement neuf et l'exonération de taxe foncière sur la durée du conventionnement avec l'ANAH, donc au moins 15 ans avec le PLS, et non pas les deux premières années comme dans le cas du Pinel. Pour nos clients investisseurs en PLS, le prix d'achat est en négocié en dessous du prix marché, ce qui n’est pas le cas en Pinel.

Quels produits intéressent vos clients investisseurs ?

Les simulations que nous faisons actuellement portent sur un investissement généralement compris entre 150.000 € et 250.000 €, préférentiellement sur des T3 et T4 qui sont plus avantageux que les typologies plus petites – le prix au m2 est moins élevé, à loyer plus élevé car calculé sur la surface fiscale. Ce ne sont pas pour autant de grands logements car les promoteurs privilégient une certaine compacité, mais ils correspondent bien aux besoins des locataires cibles : les familles monoparentales, les jeunes actifs, qui sont des familles en devenir, et les étudiants en colocation qui vont pouvoir bénéficier d'une chambre à moins de 200 €.

Pour autant, le dispositif Loc'Avantages est encore très confidentiel. Pour quelles raisons ?

En effet, sa massification reste un enjeu puisque environ 9000 logements seulement ont été conventionnés au cours de l'année 2022. Gestia Solidaire fait partie de la commission Loc'Avantages, qui réunit la DHUP[2], l'ANAH et un certain nombre de parties prenantes dont plusieurs métropoles – certaines expérimentent le plafonnement des loyers, qui prime sur la référence Loc'Avantages – pour travailler notamment sur la préparation des lois de finances.

L'introduction du simulateur a été un progrès important, mais il faut encore enlever de la complexité administrative. Les candidats ont vraiment de quoi se décourager devant les dossiers compliqués qu'il leur faut produire. En outre, on est en droit de s'interroger : quel sens cela a-t-il de maintenir la niche fiscale extrêmement attractive de la location meublée, qui permet de facto d'amortir rapidement son investissement ? Ne serait-il pas plus juste de basculer tout ou partie de cet avantage sur un dispositif dont la finalité est de produire des logements abordables ? 

Moyennant ces correctifs, la formule PLS + Loc'Avantages pourrait-elle selon vous toucher un plus large public ?

Elle pourrait mieux toucher les primo-investisseurs prêts à porter l'effort national du logement pour tous s'ils peuvent le faire en se constituant un patrimoine, que ce soit dans une perspective de complément de revenu ou de transmission. Beaucoup de gens nous appellent pour nous dire "J'arrête mon assurance vie, ça ne me rapporte plus grand chose. Je préfère faire un placement de long terme dans l'immobilier, d'autant que j'ai ce désir d'investir dans des produits vertueux du point de vue social et environnemental".  Les gens se tournent vers cette valeur refuge qu'a toujours été l'immobilier. On sait qu'il ne va pas chuter. Il va tout au plus stagner ou augmenter de façon moins exponentielle et anormale que ces dernières années. On aura toujours besoin d'un toit, le foncier est de plus en plus rare, donc on tient une valeur entre les mains… on ne risque pas de perdre de l'argent.

Pour les promoteurs, ce dispositif pourrait-il jouer un rôle structurel à l’avenir, malgré l'effort à faire sur le prix de vente ?

Oui, d'autant qu'ils ont des stocks à écouler et que c'est toujours mieux que de ne pas vendre ces logements. Au-delà de cette considération de court terme, c'est clairement une voie de diversification qui leur permet d'adresser de nouvelles clientèles qui sont en recherche d'investissement responsable dans l'immobilier mais ne trouvent aujourd'hui pas grand chose en dehors des SCPI. La clientèle du Pinel devrait aussi s'y reporter.

Voyez-vous d'autres avantages, pour les promoteurs ?

Les logements conventionnés avec l'ANAH sont comptabilisables en logement sociaux dans les quotas SRU et peuvent être produits en petites quantités. Cela facilite la mixité sociale, notamment dans les programmes diffus, d'autant que les logements financés en PLS sont mieux acceptés par les riverains que les logements "plus sociaux". Donc introduire un certain nombre de logements conventionnés dans leurs programmes est une bonne solution pour les promoteurs qui sont engagés vis-à-vis des communes à produire des logements sociaux au sens de la loi SRU. Je pense qu'ils l'adopteront une fois qu'ils auront compris les avantages, mais cela devrait passer au départ par une forme de contrainte.

Quel genre de contrainte ?

Entre la pénurie de logements, la raréfaction du foncier et l'inflation, avec des revenus qui n'augmentent pas plus vite que les loyers, on aura besoin de lois ou de règlements pour encadrer le marché. La spéculation crée des crises par effet boule de neige : les gens achètent trop cher, louent trop cher, revendent trop cher… le marché ne peut pas s'auto-réguler, il faut l'intervention d'un régulateur qui est l'État. Par ailleurs, le CNR[3] Logement a beaucoup travaillé sur de nouvelles dispositions législatives incitant les particuliers à investir dans le logement locatif privé. Et enfin, les collectivités ou leurs aménageurs ont commencé à introduire des quotas de logements abordables dans leurs consultations d'opérateurs immobiliers. Tout cela va dans le sens du développement de solutions telles que l'investissement solidaire en PLS + Loc'Avantages.

Se posera quand même la question des réseaux de vente…

Il y a en effet un enjeu de vulgarisation. Le dispositif est peu connu car il est peu porté en dehors de réseaux associatifs de type Habitat et Humanisme ou Soliha, mais il est compréhensible et le public a eu le temps de se familiariser avec les lois de défiscalisation, qui se sont multipliées depuis les années 1980, et de plus en plus ces dernières années. En ce qui concerne Gestia Solidaire, pour toucher nos clients investisseurs, nous nous appuyons sur des gestionnaires de patrimoine, des réseaux de commercialisation et des agents immobiliers spécialisés dans la transaction. Et nous travaillons avec les promoteurs immobiliers dans le cadre d'appels d'offres publics.

Illustration - gestia solidaire adequation
gestia solidaire adequation

Photo d'équipe de Gestia Solidaire


[1] Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat

[2] Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages

[3] Conseil national de la refondation

Propos recueillis par Jeanne Bazard et Yann Gérard

© pexels anna shewts

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