Le congrès HLM 2023 consacrera sa première plénière au volume de logements à construire : "Le débat sur le manque de logements se tend et se complexifie. […] Quelle est la réalité du besoin aujourd’hui et en anticipation d’un futur proche ?" (pré-programme du congrès).
On ne peut qu'être d'accord sur la complexité du sujet. Jean-Claude Driant, expert reconnu des politiques du logement, vient d'ailleurs de le décortiquer dans un article intitulé Le besoin de construction de logements neufs. Méthodes et controverses.
Il circonscrit délibérément son propos au "besoin" de construction de logements neufs appréhendé à l'échelle nationale pour montrer que, même dans ce champ étroit de connaissance, on est assez loin de la science exacte.
Ainsi, la dernière évaluation ministérielle (CGDD) de la demande potentielle de logements neufs, alors à 330 000 logements par an, remonte à 2012 ! Cet exercice de projection suscitera, avant comme après, beaucoup de discussions méthodologiques : combien de ménages, de résidences secondaires… ? Faut-il résorber un déficit antérieur de construction et lequel ?
En amont même des questions de méthode, ajoutons que les données publiques relatives au logement sont notoirement médiocres. La Cour des comptes s'en est d'ailleurs émue en 2022, enjoignant aux ministres compétents d'améliorer leur production afin de pouvoir "garantir l'efficience [de la] politique publique". De là à y voir la raison pour laquelle le service des données et études statistiques (SDES) du ministère compétent a tant tardé à actualiser ses projections…
Mise à jour et nouvelles approches
La mise à jour complète est toutefois annoncée pour cette fin d'année. Une première estimation, dans le rapport Rebsamen de 2021, donnait une fourchette de 210 000 à 325 000 logements par an entre 2017 et 2030.
Cette mise à jour s'appuiera sur OTELO (outils pour la territorialisation de la production de logements), lequel a le mérite d’intégrer non seulement les besoins liés aux flux de ménages (calcul du "point mort" et croissance démographique notamment) mais aussi ceux liés au mal-logement. Elle intègrera en outre une déclinaison régionale du chiffrage.
Saluons cette double innovation, mais notons qu'elle rouvrira la porte à de nombreuses querelles de définition et d'interprétation, d'autant que les tentatives d’estimation régionales risquent de télescoper les estimations et objectifs validés dans les documents de planification (SRADDET voire SCoT). Le débat est donc loin d'être clos.
Il faut en outre évoquer deux nouvelles approches "concurrentes" du sujet.
- La première s'inscrit dans la révolution numérique. Elle serait fondée non plus sur des données inégales et des hypothèses socio-économiques par définition sujettes à débat, mais sur des données riches, collectées auprès des ménages lors de leurs recherches de logement en ligne (sur LeBonCoin par exemple). Testée avec un certain succès par des chercheurs pour analyser les parcours résidentiels pendant la crise sanitaire, cette méthodologie figure parmi les propositions du CNR.
- La seconde procède de la transition écologique. Issue d'un travail de prospective, ne porte pas à proprement sur la demande, mais mérite d'être gardée en tête car elle fait déjà référence. En 2022, l'ADEME a publié quatre scénarios prospectifs de transition écologique pour la France à l'horizon 2050, chacun intégrant des hypothèses de construction. Selon le degré de sobriété qui caractérise chaque scénario, la production moyenne de logements neufs varie entre 111 000 et 282 000 unités par an entre 2015 et 2050[1].
Alors, "combien de logements" ?
Produire un chiffre à la fois fiable et consensuel des besoins en logement à l’échelle nationale est probablement une gageure, qui plus est lorsqu’il s’agit de décliner ces objectifs à l’échelle de territoires plus ou moins réduits. Cela ne signifie pas qu'il faille y renoncer, mais il faut avoir conscience des limites de cet exercice, essentiellement normatif.
Car au fond, quelle devrait être la finalité de ces travaux d'évaluation ? De parvenir à construire des consensus locaux, en documentant des réflexions prospectives et politiques selon deux axes :
1) Qui devra-t-on loger et comment ?
2) Comment rendre la réponse compatible avec l'objectif de neutralité carbone ? L'équation n'est pas simple, mais c'est celle-là qu'il faut résoudre.
[1] https://politiquedulogement.com/2023/07/quelle-methodologie-pour-le-calcul-des-logements-neufs-dans-les-scenarios-transitions-2050-de-lademe/
© pawel czewinski Unsplash
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