Investisseurs institutionnels : à quand le retour dans l'immobilier résidentiel ?

À cette question récurrente, la crise actuelle et la transition écologique apportent de nouveaux éléments de réponse. Sur un marché français qui a pendant plus de 30 ans trouvé son équilibre entre la clientèle des accédants à la propriété et celle des investisseurs particuliers, la place des investisseurs institutionnels est restée marginale (ils détiennent moins de 1% des résidences principales tandis qu'en Allemagne, 9 logements locatifs sur 10 sont détenus par des institutionnels). 

Nicolas Debruyne

Publié le 06/12/2023

 

Retour par le locatif intermédiaire et les résidences services

Un modeste regain d’intérêt de leur part a certes été observé depuis une dizaine d'années.

Ainsi, à partir de 2014, ils ont pu abonder les fonds créés par Ampère Gestion (fonds FLI), filiale de CDC Habitat, et In’li, filiale d’Action Logement, pour construire des logements intermédiaires. La TVA à 10 % et l'exonération de TFPB, remplacée en 2023 par une créance d’impôt sur les sociétés, ont permis à ces fonds d'offrir une rentabilité brute de 4,8 % (cas de FLI) quand un investissement classique sur le logement neuf dépassait rarement 4 %.

Mais c’est surtout la demande croissante de résidences services qui leur a ouvert de nouvelles opportunités. La facturation des services en complément du loyer a généré des taux de rendement généralement supérieurs à 4,5 % net sur le neuf, le tout dans des conditions optimisées par la présence d’un gestionnaire unique qui se charge de l'exploitation selon une formule "toit + services". C’est aujourd’hui le produit résidentiel vers lequel les investisseurs s’orientent le plus naturellement. L’offre tend désormais à couvrir l’ensemble du parcours résidentiel : résidences étudiantes, coliving, résidences seniors. Le « Build To Rent », en émergence, est censé répondre quant à lui aux besoins des ménages actifs. 

Un intérêt somme toute modéré, douché par la hausse des prix

De manière générale et un peu théorique, le segment résidentiel n'est pas dénué d'attraits pour les investisseurs institutionnels. Il présente un caractère résilient voire contra-cyclique car sa valorisation est moins dépendante des cycles économiques que ne le sont les bureaux, les actifs logistiques ou les actifs financiers : le logement est un besoin vital, le pouvoir d'achat des ménages est relativement protégé donc moins fluctuant que d'autres variables économiques, et enfin l'offre paraît durablement pénurique sur les marchés tendus. En outre, il peut servir de support à un investissement socialement responsable (impact social positif, contribution à la transition écologique et énergétique par la rénovation et la transformation de l’existant). Mais tous ces arguments ne valent qu'à condition de s'accompagner d'un rendement flirtant avec les 5 %, très rare sur le marché français.

Or cette condition n'est plus remplie : depuis le début 2023, les hausses des prix du logement et du coût du crédit ont fortement ralenti les placements des investisseurs institutionnels dans l'immobilier résidentiel, en particulier dans le logement ordinaire : -71 % entre septembre 2022 et septembre 2023 selon l’observatoire Immostat. Il faudra une réduction drastique des prix et une stabilisation des taux pour relancer les investissements classiques sur ce segment. 

Nouvelle opportunité #1 : les montages dissociants de la prop tech

Faut-il le rappeler, la crise qui a éloigné les investisseurs du marché a d'abord et surtout rendu insolvable une proportion préoccupante de candidats à l'accession à la propriété, créant des conditions favorables à l'innovation financière autour des montages dits "dissociants". Un certain nombre de start-ups de la prop tech courtisent actuellement les investisseurs institutionnels pour proposer des solutions de co-investissement – les variantes sont nombreuses –, dans lesquelles le ménage verse à son co-investisseur une contrepartie qui lui permet d'occuper le logement. Ces montages sont censés procurer aux investisseurs des taux de rendement supérieurs à 4 %, sachant qu'ils supportent pas tous les inconvénients de la location classique (gestion simplifiée, pas de turnover ni de vacance).

Pour trouver leur marché, ces produits émergents doivent convaincre les deux co-investisseurs, le ménage et l'institutionnel, qu'ils servent bien leurs intérêts financiers respectifs tout en rémunérant l'intermédiaire, sans exposition excessive à un retournement de conjoncture, et que la liquidité de leur placement les protégera de risques éventuels à court et à long terme.

Nouvelle opportunité #2 : le positionnement en amont de la chaine de valeur 

Certains investisseurs vont chercher de la valeur vers l'amont de la chaîne de production en participant au portage du foncier. Cette modalité d'investissement devrait s'intensifier en réponse à la réglementation ZAN : les sites déjà artificialisés et parfois pollués, coûteux à acquérir et à transformer, exigent un volume de fonds propres difficile à constituer par les seuls moyens de l’opérateur en charge de la réalisation du projet, tandis que le changement d'usage (réemploi de friches, transformation de bureaux en logements…) crée de la valeur.

Ce type de projets nécessite également une ingénierie technique et financière de haut niveau, qui donne du sens à des rapprochements stratégiques entre opérateurs et investisseurs, sur des projets immobiliers, mais aussi sur des stratégies multi-actifs à l'échelle urbaine voire à l'échelle de portefeuilles à faire muter dans la durée. Certains investisseurs ont noué des partenariats avec des acteurs de la construction, tels Brownfields et Vinci immobilier en 2019 ; citons également les fonds Terrae Optimae, créé en 2019 par Harverstate AM et Nexity, et Néapoli, créé par Mirabaud AM et Linkcity en 2023. On observe d'ailleurs des rapprochements analogues entre foncières commerciales et acteurs du logements : Frey avec CDC Habitat/Banque des territoires en 2022, Carrefour et Nexity en 2023.

En conclusion, à moins d'un retournement de marché qui le rendrait réellement attractif[1], les investisseurs institutionnels ne devraient pas s'intéresser particulièrement à l'investissement résidentiel en France si l'on entend par là l'acquisition classique de logements locatifs ordinaires. En revanche, les résidences services retiennent leur attention en raison de leurs rendements plus élevés. Et différentes modalités de co-investissement, aux côtés de particuliers via des structures de mise en relation, ou aux côtés d'opérateurs immobiliers dans le cadre d'opérations complexes, commencent à émerger. Portées les unes par une crise profonde de solvabilité des ménages, les autres par la rareté foncière, ces tendances sont à observer avec attention, mais seul l'avenir dira jusqu'à quel point elles sont susceptibles de contribuer au fameux "retour" des institutionnels sur le marché français.


[1] On pourrait également évoquer le levier fiscal : l'ASPIM milite pour une réforme de la TVA au service du logement locatif abordable. In Note : Les fonds logement, pourquoi et comment drainer l’épargne des Français vers le résidentiel intermédié ? page 29 

© Tom Fisk - Pexels

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