Données et expertise immobilière : la prochaine rupture sera-t-elle climatique ?

Laurent Gouttenoire dirige ADEQUATION Expertise. Avec lui, nous avons parlé données, méthode, mais aussi énergie-climat, vaste champ de réflexion qui convoque de grands efforts d'innovation.

Équipe ADEQUATION

Publié le 16/03/2023

 
Laurent GOUTTENOIRE

 

 

Le métier d'expert immobilier consiste à évaluer la valeur d'un bien(ou actif) immobilier selon des règles et une déontologie très encadrées, notamment pour ceux qui, comme Laurent Gouttenoire, sont experts auprès des tribunaux.

 

Données et expertise : un tandem performant

Une petite révolution a déjà eu lieu. Tout vendeur ou acheteur impatient de connaître la valeur d'un bien a pu l'expérimenter : aujourd'hui, de nombreux simulateurs en ligne nourris à la data fournissent immédiatement une fourchette de prix moyennant la saisie d'une adresse et de quelques caractéristiques. L'expert immobilier sait bien quant à lui que seule une visite du bien et une connaissance approfondie de l'environnement permet d'approcher sa valeur de manière fiable. Pour autant, Laurent Gouttenoire n'a pas attendu l'explosion de l'open data et des algorithmes pour imaginer le parti qu'il pouvait tirer de l'accès à des données qualifiées. C'est précisément pour cela que, en 2011, il s'est rapproché d'ADEQUATION pour créer la filiale ADEQUATION Expertise.

Aller plus vite

Quotidiennement, Laurent Gouttenoire et son équipe se connectent à "Qlik", le portail interne d'ADEQUATION qui alimente en données qualifiées puisées à de multiples sources l'ensemble des consultants et chargés d'études de la société.

"Ces données qualifiées et prêtes à l'emploi nous font gagner beaucoup de temps et nous permettent de traiter de gros dossiers, pour certains de nos clients qui acquièrent chaque année plusieurs dizaines de biens sur l'ensemble de la France."

Voir plus loin

Les données socio-économiques sont particulièrement précieuses pour Laurent Gouttenoire qui peut enrichir son expertise d'une analyse dynamique.

"La valeur d'un bien à l'instant t est intéressante, mais il faut aussi se poser cette question : qui pourra l'acheter ou le louer ?"

Si ADEQUATION Expertise s'est donnée les moyens répondre à cette question fondamentale, telle n'est pas la pratique courante de la profession. La question est même généralement éludée puisque la déontologie du métier d'expert, formalisée par la charte de l'expertise immobilière, implique de travailler par comparaison avec les valeurs observées sur des transactions passées comparables (et non pas sur les offres du marché).

C'est une garantie d'objectivité. À cet égard, l'ouverture au public des demandes de valeur foncière (DVF) par la direction des Finances publiques a marqué une étape importante dans la "sécurisation" des évaluations immobilières.

Identifier les failles

En dépit de ce progrès, deux observations permettent toutefois de comprendre que les données les mieux qualifiées et l'algorithme le plus intelligent ne sauraient remplacer le travail de l'expert.

  • D'une part, les transactions sur des biens comparables ne sont pas toujours suffisamment nombreuses pour permettre une analyse fiable. C'est le cas des marchés peu dynamiques ou des biens atypiques.

"Dans ce cas, c'est justement le rôle de l'expert que d'aller chercher d'autres éléments de comparaison et de les justifier, ce qu'aucun algorithme ne sait encore faire."

  •  D'autre part, le décalage temporel peut être invalidant et il est dangereux de s'en tenir aux seules transactions.

"À Lyon, par exemple, nous disposons des valeurs de transaction avec un retard de plusieurs mois. Étant donné que le prix a été fixé au moment du compromis, soit environ trois mois plus tôt, cela nous reporte à une antériorité minimum de six mois, et je ne considère donc pas que cette seule donnée soit entièrement fiable."

L'irruption des enjeux climatiques dans l'expertise immobilière

Ces observations font toucher du doigt que l'analyse des transactions est d'autant plus fiable que les évolutions sont lentes et qu' un recul suffisant permet d'identifier des tendances.

Ces tendances sont fondamentales car l'expert immobilier intervient souvent pour évaluer des biens sur le long terme, hors de tout projet de transaction, par exemple quand il expertise la valeur des actifs immobiliers au bilan d'une entreprise.

Or la période actuelle est justement caractérisée par une profonde incertitude quant à l'avenir, en particulier du fait de la montée en puissance des enjeux environnementaux.

"Actuellement, une évaluation immobilière repose le plus souvent sur quatre paramètres : les caractéristiques du bien, sa situation géographique, sa situation locative et les données du marché. Pour le moment, les considérations liées à l'énergie et au carbone sont intégrées à l'analyse des caractéristiques. Mais il est probable qu'elles constitueront bientôt un nouveau paramètre à part entière. Nous y travaillons avec le pôle Data d'ADEQUATION."

Quelles données utiliser pour approcher ce nouveau paramètre de manière fiable et objective ?

La question est de taille et agite à juste titre toute la filière immobilière, notamment les gros investisseurs, puisque la valeur de leurs actifs actuels et futurs est en jeu.

Pour ne parler que du secteur résidentiel, le score des diagnostics de performance énergétique (DPE) ne manquera pas d'impacter les valeurs, ne serait-ce que sous l'effet de la réglementation qui interdit la location des "passoires énergétiques".

  • Mais jusqu' à quel point ?
  • Dans quelle mesure est-ce variable suivant le profil d'acheteur : foncières, primo-accédants… ?

Il est clair qu'un grand nombre de données (DPE ou autres) et un recul suffisant seront nécessaires pour établir des corrélations entre les performances énergétiques des bâtiments et la valeur des transactions, dans des situations comparables.

Mais on ne saurait surestimer, par ailleurs, le niveau d'expertise requis pour dépasser la seule approche comparative dans le passé récent et intégrer une vision plus globale et plus dynamique.

Ainsi :

  • Quel rôle jouera le prix de l'énergie ?
  • Observera-t-on des différences régionales : climat, structuration de la filière de rénovation, tension de la demande ?
  • Le mode de calcul du DPE est-il pérenne ?

Autant de questions qui ont déjà ouvert un vaste champ de recherche et d'innovation au sein d'ADEQUATION, mobilisée sur cet enjeu majeur de la transition énergétique de l'immobilier.


Propos recueillis par Jeanne Bazar

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