Claire Juillard est sociologue, fondatrice d'OGGI conseil, agence de recherche indépendante et de conseil sur l'immobilier.
L’exploitation des données de navigation du site leboncoin aboutit à un résultat qui détonne avec le discours dominant : la période de crise sanitaire ne marque pas de rupture dans la structure des projections géographiques des Français. Elle se signale par une grande stabilité et, en l’occurrence, par la faible part des urbains en quête d’un logement à la campagne parmi l’ensemble des internautes.
Autre résultat marquant tiré d’une enquête par questionnaires réalisée auprès des utilisateurs du site leboncoin en complément de l’exploitation des données de navigation : les catégories socio-professionnelles supérieures occupant un emploi télétravaillable sont sous-représentées parmi les candidats au départ à la campagne. Télécharger le rapport
Les projections de l'urbain au rural, un mouvement de petite envergure
Le rapprochement de la localisation des internautes au moment où ils réalisent leurs recherches immobilières et de la localisation des biens qu’ils consultent sur le site leboncoin permet de reconstituer un système de projections géographiques et, pour répondre à la question de l’exode urbain, d’identifier la place dans ce système des projections des villes vers la campagne.
Les projections des urbains dans le rural recouvrent des flux de taille relativement modeste, de l’ordre de 14 % de l’ensemble des projections géographiques reconstituées.
Fait notable, la propension des urbains à se projeter dans le rural s’accentue légèrement avec la crise mais elle s’avère plus marquée pendant le premier confinement du printemps 2020 que par la suite et, au terme de l’année 2021, elle paraît même revenir au niveau enregistré préalablement à la crise.
L’« exode urbain » ne dessine pas seulement un mouvement de l’urbain vers le rural. De fait, il correspond aussi à un mouvement de marchés tendus vers des marchés détendus. La propension des urbains à se projeter dans le rural pendant la crise est d’ailleurs plus forte chez les habitants des marchés urbains les plus tendus.
Des projections géographiques polarisées par l'urbain
La tendance générale reste au maintien de l’influence des pôles urbains dans les projections géographiques.
Trois mouvements structurent principalement le réseau des projections des porteurs de projet immobilier, sans changement avec la crise sanitaire.
La métropolisation, selon laquelle les métropoles attirent à elles et se nourrissent d’échanges importants entre elles et en leur sein.
Le report des pôles urbains les plus tendus vers des pôles urbains moins tendus, à commencer par les villes moyennes, qui confirment leur regain d’attractivité depuis plusieurs décennies.
La périurbanisation, qui s’alimente de flux sortants des espaces urbains.
Comme les projections dans le rural, la métropolisation, le report vers les villes moyennes et la périurbanisation s’accentuent dans le contexte de la crise sanitaire et, pour une bonne part, elles visent des marchés toujours moins tendus, dans l’urbain ou le périurbain.
Au final, l’exploitation des données de navigation du site leboncoin dément l’idée d’un départ massif des villes vers les campagnes et le rôle supposé déclencheur de la crise sanitaire. En revanche, elle révèle un mouvement déterminant de la géographique résidentielle contemporaine : le mouvement vers des marchés moins tendus.
Les urbains en quête d'un logement à la campagne ne sont pas forcément des télétravailleurs issus des catégories supérieures
L’enquête par questionnaires réalisée auprès des utilisateurs du site leboncoin aboutit à un portrait exploratoire des candidats au départ des villes qui détonne avec les discours médiatiques. D’abord, les urbains en quête d’un logement à la campagne ne sont pas forcément des télétravailleurs issus des catégories supérieures. Ce sont plutôt les professions intermédiaires qui sont surreprésentées dans ce type de projection. Et, par rapport aux autres internautes qui consultent les annonces de logement, les urbains qui recherchent un logement à la campagne ne sont ni plus ni moins motivés par un projet professionnel, plutôt moins par leur situation familiale et plutôt plus par une stratégie d'anticipation de la retraite.
Ensuite, si les intentions des répondants pris dans leur ensemble sont majoritairement tournées vers l’achat d’une résidence principale, les projets des urbains en quête d’un logement à la campagne le sont moins souvent. Ils visent plus fréquemment un investissement locatif ou l’achat d’un logement pour l’avenir. Ce dernier résultat souligne la multiplicité des motifs de départ des villes.
Enfin, les urbains cherchant un bien à la campagne opèrent rarement un lien explicite entre leur projet immobilier et la crise sanitaire. C’est également le cas de l’ensemble des Français en quête d’un logement sur les pages immobilières du site leboncoin. Ceux-là citent la crise comme facteur incitatif de leur projet immobilier dans un cas sur dix seulement.
Des tendances à anticiper pour les prochaines années ?
À chaque crise ses conséquences sur le marché de l'immobilier résidentiel ? Après la crise sanitaire et l'exode urbain, la crise énergétique et le retour à la ville tel que nous l’entendons depuis plusieurs mois ?
L’analyse des projections géographiques des Français dans le contexte de la crise sanitaire appelle à la prudence dans l’interprétation des effets de crise. Ces projections renvoient d’abord à des tendances longues principalement sous-tendues par deux dynamiques interdépendantes : la dynamique de peuplement et la dynamique de l’emploi.
Cependant, la période qui a précédé la crise sanitaire a été marquée par plusieurs points d’inflexion. D’abord, les plus grosses aires d’attraction des villes n’évoluent plus à l’unisson depuis plusieurs décennies. Elles se distinguent selon que la croissance de la population et de l’emploi y suit une trajectoire plus ou moins favorable qu’en moyenne en France.
Ensuite, la croissance démographique des couronnes se poursuit à un rythme moins soutenu. Enfin, les espaces hors influence des villes connaissent un regain démographique dans les départements les moins marqués par le vieillissement de la population. Ce rebond dessine une dynamique favorable à un mouvement de sortie des villes qui dépasse pour partie la périurbanisation. La crise sanitaire ne paraît pas l’avoir entravé. Qu’en sera-t-il de la crise énergétique ?
L’exploitation régulière des données de navigation d’un portail d’annonces tel que leboncoin permettrait de se prémunir du flou provoqué par les effets de crise et d’apporter le recul nécessaire au débat public. Il s’agirait de poursuivre les travaux à deux échelles : macro, pour répondre à un enjeu de décryptage général, et micro, pour répondre à la demande d’expertise plus fine et localisée des collectivités et autres acteurs des territoires.
Bléhaut Marianne, Coulondre Alexandre, et Juillard Claire. Un exode urbain post-covid ? Analyse des projections géographiques des Français à partir des données du site d’annonces immobilières leboncoin, Paris, Rapport pour la POPSU et le Réseau Rural Français, 2022 (rapport disponible sur ce lien).
Sources des graphiques d'illustration : leboncoin et SDES (exploitation : M. Bléhaut, A. Coulondre et C. Juillard) – Périmètre d’observation : visites
ayant mené à au moins une vue sur les pages « immobilier » pour les logements à vendre en France Métropolitaine et
Corse quel que soit le bien (appartements et maisons). - Remarque : Les liens représentés sont uniquement les liens
supérieurs à 2000 vues par trimestre – Maillage : les communes ont été réunies dans des mailles multicommunales
reprises du Zonage en Mailles Habitat du SDES.
© unsplash - jermaine
Analyse très intéressante qui permet une mises en perspective des raisons et de l’ampleur d’un exode urbain si souvent pointées ces 3 dernières années.
Bravo pour ce travail
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