C'est (malheureusement) la règlementation qui fait bouger les lignes

Amal Del Monaco dirige le département Asset Management pour l’Europe du gérant d’actifs immobiliers PATRIZIA. Elle nous livre un regard éclairé sur le marché résidentiel français, qui reste structurellement difficile d’accès pour les investisseurs institutionnels privés, même pour ce groupe particulièrement investi sur ce segment ailleurs en Europe.

Équipe ADEQUATION

Publié le 11/07/2022

 

PATRIZIA est d’origine allemande, cela s’accompagne-t-il d’un intérêt particulier pour le segment résidentiel de l’immobilier ?

Amal del Monaco

Amal del Monaco. PATRIZIA est un gérant d’investissement pan-européen qui gère 52 Mds€ d’actifs dont 47Mds€ dans l’immobilier, tous segments confondus. L’équipe d’Asset Management gère directement 38Mds€ et la part du résidentiel est de 35 %, ce qui est en effet relativement élevé par rapport à la moyenne de nos confrères européens, plutôt située entre 10 % et 20 %. Notre fondateur et actuel président, Wolfgang Egger, a d’abord fait le choix du résidentiel, qui est donc bien dans notre ADN, même si la diversification vers d’autres classes d’actifs est ancienne. L’Allemagne reste notre principal marché résidentiel, mais ce segment n’est pas négligeable en Espagne, ainsi que dans le Nord de l’Europe. 

En France, nous sommes particulièrement présents sur le marché de la logistique, mais les actifs résidentiels font également partie de nos cibles.

La faible présence des investisseurs institutionnels sur le marché français est générale. Comment l’expliquez-vous ?

J’ai rejoint PATRIZIA il y a moins d’un an mais, pour vous répondre, je vais m’appuyer sur mon expérience de 24 ans dans ce secteur. Même des acteurs français de premier plan ont du mal à sourcer des actifs résidentiels. Cela s’explique par la concurrence des investisseurs institutionnels publics, et celle des particuliers, encouragés à investir dans l’immobilier locatif par des dispositifs fiscaux. En France, CDC Habitat et Action Logement/In’li sont mieux placés que des acteurs tels que nous pour acquérir des programmes en bloc, en raison de leur maillage territorial et de leur proximité avec les collectivités locales. Une voie possible pour nous réside dans des partenariats avec ces acteurs pour l’acquisition de très gros portefeuilles, mais ils sont trop rares. En outre, la taille unitaire des programmes est très faible, entre 10 M€ et 30 M€, ce qui rend longue et fastidieuse la constitution d’un portefeuille significatif.

Quels sont selon vous les défis à relever par les institutionnels pour augmenter leur présence dans le résidentiel ?

La réglementation est un point fondamental. Elle prend des formes variées suivant les pays : en France, ce sont les loyers de référence ; en Irlande, la hausse du loyer entre deux locataires est limitée ; à Berlin, il y a eu une tentative de gel des loyers… Toutes ces mesures ont une justification sociale, le logement étant un produit de première nécessité. Mais cela tend forcément à éloigner les investisseurs. Je pense qu’une partie de la solution se trouve en amont, dans la régulation des prix du foncier, mais j’admets que le sujet n’est pas simple.

En ce qui nous concerne, nous misons beaucoup sur le logement abordable (sachant qu’en France il ne nous est pas permis d’investir dans le logement social, à la différence d’autres pays). Il y a derrière cela une double une rationalité : d’une part, ce marché est très étendu, donc moins risqué que le haut-de-gamme, d’autre part, s’assurer que le locataire pourra payer son loyer est une manière de sécuriser nos revenus. Nous veillons donc à ce que nos loyers ne dépassent pas 30 % du budget des ménages auxquels nous les destinons.

D’autres défis ?

Le second défi est celui de l’énergie et du carbone. Il est évident que la performance de l’immobilier résidentiel doit augmenter sur ces deux aspects, sauf à voir sa valeur décroître. C’est pourquoi, bien que ces mesures soient coûteuses en capital, PATRIZIA change systématiquement le mode d’approvisionnement énergétique des bâtiments à l’occasion des restructurations lourdes, de manière à éviter le gaz, fait installer des panneaux photovoltaïques et des appareils de régulation des consommations, ou encore des locaux vélos et d’autres moyens de faciliter une mobilité verte. Nos property managers [gestionnaires immobiliers et techniques] sont formés pour accompagner les locataires dans leurs changements de comportement vis-à-vis de l’énergie ; nous éditons des guides pratiques…

Les investisseurs pourraient-ils contribuer de manière significative à la rénovation énergétique massive des logements ?

D’une manière générale, pour que les détenteurs de capitaux apportent une contribution à une politique publique, il faut qu’ils y trouvent un intérêt. N’oublions pas que les investisseurs institutionnels ont une obligation fiduciaire vis-à-vis de leurs clients et doivent faire fructifier ce qui, à terme, servira à verser des pensions de retraite, une épargne, etc. à des particuliers comme vous et moi. Si votre idée est qu’ils pourraient par exemple racheter des copropriétés pour les rénover, il est à peu près certain que le modèle économique d’une telle stratégie n’existe pas, même pour des capitaux placés à long terme. En tout cas, ce type de réflexion ne dépasse pas à ma connaissance le cercle étroit de certains think tanks.

En fait, c’est presque toujours la réglementation qui fait bouger les lignes. Aujourd’hui, une telle réglementation n’existe pas. Ainsi, en France les dispositifs mis en place s’adressent quasi uniquement aux particuliers propriétaires, ce qui est assez logique puisqu’ils possèdent 96 % du parc locatif privé.

On en revient donc à la réglementation, non plus dissuasive, mais absente…

Un bon exemple est celui du logement intermédiaire. Son statut fiscal a été bien pensé puisqu’il est de type « win-win ». L’État a compris qu’il fallait à la fois proposer des logements à des prix maîtrisés et créer les conditions de rentabilité des investissements pour attirer les capitaux. D’où la TVA à taux réduit et l’exonération de taxe foncière, ainsi que la possibilité, pour le propriétaire, de revendre une partie des lots au bout de 10 ans pour pouvoir réinvestir, ou encore de déplafonner les loyers après une longue période de détention. Le dispositif présentait quand même un effet pervers, puisque les collectivités, pénalisées par la perte de recette fiscale liée à la taxe foncière, pouvaient se montrer assez frileuses vis-à-vis du logement intermédiaire. Le système a donc été réformé dernièrement, pour permettre d’opter pour un crédit d’impôt.

Dans quelle mesure PATRIZIA est-il attaché à la qualité résidentielle ?

Le sujet est majeur pour nous, puisque nous avons deux clients à satisfaire. D’une part, les investisseurs qui nous confient leurs fonds et sont généralement curieux de connaître la qualité des actifs dans lesquels ils sont investis, d’autre part nos locataires, que nous avons intérêt à garder. Nous avons fait le choix d’externaliser le property management pour permettre sa plus grande proximité avec les actifs gérés sur le terrain. Outre le retour qualitatif qu’il nous procure, nous, asset managers [gestionnaires d’investissement] visitons les biens une fois par an pour en « prendre le pouls ». Par ailleurs, nous sommes très investis sur les segments dits « alternatifs», tels que celui des résidences étudiantes ou des résidences médicalisées, qui répondent à des besoins indiscutables de la société.


© bogdan-glisik - pexels

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