Pour l’Île-de-France, l’objectif de « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050 pose un défi particulièrement fort car la région capitale connaît une croissance démographique et économique plus élevée que la moyenne. Il revient aux schémas directeurs et aux plans locaux d’urbanisme de fixer la trajectoire de réduction progressive des espaces imperméabilisés alors que, dans le même temps, le schéma directeur régional environnemental (SDRIF-E) est en cours de révision.
C’est dans ce contexte que l’Observatoire régional du foncier, association qui réunit élus et professionnels autour des services de l’État et du Conseil régional, a mis en place un groupe de travail visant à recueillir leurs avis et propositions pour concilier sobriété foncière et développement urbain[1]. Comment, en effet, gérer cette apparente contradiction, sachant que la crise sanitaire n’a pas eu d’effets majeurs sur la mobilité résidentielle et la géographie des marchés immobiliers, et que par conséquent, la croissance démographique reste soutenue et vient alimenter les besoins ?
Les propositions formulées ont été structurées en trois grands axes qui sont interdépendants :
- l’amélioration de la connaissance des enjeux, des besoins et des gisement fonciers pour favoriser l’action
- l’impulsion d’une véritable stratégie régionale ZAN couplée à un effort de régulation des marchés fonciers et immobiliers aux différentes échelles
- la facilitation de la mise en œuvre opérationnelle. Nous revenons ici sur le premier axe.
Une trajectoire de consommation tendanciellement décroissante, mais pas assez pour répondre aux objectifs
En Île-de-France, la consommation brute d’espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) s’est fortement ralentie sur la dernière décennie, mais avec un infléchissement récent. Entre 2009 et 2017, l’Île-de-France a contribué à hauteur de 4 % à la consommation nationale d’espaces NAF (820 ha/an en moyenne) alors qu’elle a accueilli 20 % des nouveaux habitants et 53 % des nouveaux emplois[2]. Cependant, les objectifs généraux de sobriété foncière vont continuer à peser sur les modalités du développement urbain, notamment en matière d’habitat, lequel ne représente toutefois, en Île-de-France, qu'environ la moitié des usages finaux de l’espace consommé (47 % de la consommation francilienne brute d’espaces NAF à destination de l’habitat contre 70 % au niveau national). La part des activités économiques dans la consommation d’espace est en revanche beaucoup plus importante que dans les autres régions (44 % pour 24 % au niveau national).
Evidemment, cette consommation n’est pas homogène sur tout le territoire. Tous secteurs confondus, c’est en grande couronne que la consommation d’espace est la plus importante. On y observe également les effets de la reprise économique progressive depuis 2008, avec une très forte progression des espaces d’activités et de logistique.
Une occupation des sols bien suivie grâce au Mos
Ces observations proviennent du Mos (Mode d’occupation du sol) qui est un inventaire numérique de l'occupation du sol de l'Île-de-France, créé et géré par l’Institut Paris Région (IPR). Actualisé régulièrement depuis sa première édition en 1982, le millésime 2021 est sa dixième mise à jour. Cet outil de suivi et d'analyse de l'évolution de l'occupation du sol francilien est réalisé à partir de photos aériennes qui couvrent l'ensemble du territoire régional, en distinguant les espaces agricoles, naturels, forestiers et urbains (habitat, infrastructures, équipements, activités économiques, etc.) selon une classification allant jusqu’à 81 postes de légende.
L’exploitation du MOS 2021 montre ainsi que ce sont, en particulier, les zones d’activités économiques et industrielles (+84 %) et les activités logistiques (+176 %) qui progressent le plus, tandis que les bureaux n’ont jamais autant diminué (-74 %). L’éviction des espaces d’activités à faible et moyenne valeur ajoutée en cœur de métropole vers la grande couronne se poursuit. En particulier, la Seine-et-Marne concentre une large part des nouveaux espaces d’activités (+129 ha/an, +34 % par rapport à la période 2012-2017). Cette analyse doit toutefois être relativisée au regard de la superficie du département, celui-ci occupant la moitié de la région, et compte tenu de l’importance des espaces naturels subsistants.
Des besoins soutenus, qui restent à affiner
L’estimation des besoins est plus délicate et comporte une marge d’incertitude liée notamment la conjoncture, qui impacte différemment le logement et les activités. Pour l’habitat, l’hypothèse des 70 000 logements par an[3] reste d’actualité, d’autant plus qu’il y a un rattrapage à opérer pour absorber le déficit accumulé entre 2010-2018.
Pour l’activité, c’est l’analyse rétrospective des tendances récentes et le suivi des demandes d’implantation qui ne faiblit pas qui laissent penser, a minima, à une poursuite de la consommation en cours. L’une des principales difficultés réside dans la conversion de mètres carrés utiles en emprise au sol, qui est le véritable indicateur de consommation foncière. Cela dépend évidemment de la forme urbaine produite.
Le repérage impératif des gisements
Pour répondre à ces besoins, une meilleure connaissance des gisements fonciers est fondamentale, en particulier dans les tissus déjà artificialisés pour concourir au ZAN. La complexité réside dans l’accès à ces fonciers, souvent plus chers et plus difficiles à transformer, car déjà bâtis, parfois occupés ou encore pollués. Les friches font ainsi l’objet de toutes les attentions, avec des démarches d’inventaire qui se multiplient : observatoire des friches franciliennes mis en place par l’IPR (qui recense environ 2270 friches, allant de 100 m² à 185 ha), Cartofriches par le CEREMA, ou encore le réseau des inventaires territoriaux de friches initié par le LIFTI.
Mais les friches ne pourront pas répondre à tous les besoins. Leur superficie totale est estimée à 4200 ha. Les ZAE et ZI obsolètes constituent précisément un gisement important et présentent l’intérêt de pouvoir articuler différents objectifs de politiques publiques : renaturation et désartificialisation, maintien et accueil d’emplois et de services, réindustrialisation, construction de logements abordables, etc. Il reste toutefois à progresser dans la connaissance et la qualification des gisements sous-utilisés mais mal évalués, tels que le foncier public en général (notamment le potentiel des équipements publics obsolètes et généreux en emprise foncière), le patrimoine des bailleurs sociaux, les potentiels de surélévation (copropriétés, patrimoine d’institutionnels ou de bailleurs sociaux), les parkings, les emprises de fin de chantiers, les délaissés urbains et délaissés routiers, le parc de bureaux vacants…
[1] http://www.orf.asso.fr/wp-content/uploads/2022/11/orf_R1_sobriete-fonciere_web-1.pdf
[2] Sources : fichiers fonciers 2018 ; INSEE 2009-2017
[3] Objectif de construction annuelle pour l’Île- de-France fixé par l’État en juin 2010 dans l'article 1 de la loi relative au Grand Paris qui prévoit la « Territorialisation de l'Offre de Logements » et repris dans le SDRIF de 2013
© dex-ezekiel - unsplash
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