Sollicitée par Action Logement Services, ADEQUATION a conduit une mission d'accompagnement liée au projet d'installation d'un EPR sur le site de Penly. Il s'agissait notamment d'anticiper les besoins en logements générés par cet équipement dans les régions de Dieppe et de Cherbourg.
L'ampleur et la nature de ce projet sont certes exceptionnelles, mais les défis qu'il soulève peuvent, toutes proportions gardées, toucher d'autres territoires accueillant un grand projet.[1] Nous voulons donc ici, à partir de cette expérience, partager une réflexion de portée générale.
L'arrivée d'un grand équipement génère trois types d'emplois, liés à sa construction (emplois temporaires), à son exploitation et aux activités économiques induites par lui, et enfin à l'économie résidentielle générée par l'installation massive de nouveaux habitants.
Cet événement est donc de nature à bouleverser les équilibres locaux, tant sur le plan des marchés immobilier et foncier (croissance forte et rapide de la demande dans un contexte de sobriété foncière imposée par la ZAN) que sur le plan économique (concurrence sur le marché de l'emploi). Il est donc impératif d'anticiper cette arrivée en tenant compte de ces différents enjeux.
La situation de départ
Une première étape consiste en un diagnostic : le marché résidentiel actuel est-il tendu ou détendu ? Quelles en sont les raisons : un manque d’offre ? la concurrence d’autres besoins (tourisme…) ? Les entreprises ont-elles du mal à recruter ? Quelles sont les filières plus ou moins actives ?
Ce diagnostic intègre les politiques de développement portées par les collectivités, en recensant tous les projets susceptibles d'avoir un impact sur l'attractivité du territoire ; il comporte un volet foncier en vue de comparer les besoins et les disponibilités et ainsi anticiper les tensions futures.
Le périmètre d'étude tient compte des interactions avec les territoires alentours et des dynamiques économiques : les ménages entrent et sortent pour travailler (migrations pendulaires, attractivité d’un bassin d’emploi voisin, doubles actifs), pour se loger (migrations résidentielles, EPCI ruraux de report ou attractivité d’une polarité). Les bassins d’emploi sont des échelles pertinentes, mais il y a lieu de tenir également compte des dynamiques de filières, nationales voire internationales, qui se répercutent localement.
Les jeux d'acteurs
Pour compléter ce diagnostic, il faut organiser la concertation entre les acteurs du grand projet, le monde économique local (employeurs) et les parties prenantes de la production de logements (collectivités, promoteurs, bailleurs). L'enjeu est de partager une même vision des besoins.
Sur un plan plus qualitatif, il est également nécessaire de comprendre les positionnements politiques, les démarches entreprises et le niveau de coopération entre acteurs.
L'inventaire fin des besoins
Sur ces bases, il faut ensuite quantifier et qualifier plus finement les besoins en logement, qu'ils soient ou non liés au grand projet. La quantification prend en compte à la fois le volume de ménages entrants, mais également les besoins endogènes au territoire, par exemple lié au desserrement. Quant à la qualification, pour les nouveaux entrants en particulier : s'agira-t-il de familles, de personnes seules ? Quelle sera la durée de leur contrat ? Leur situation financière ? Vont-ils acheter ou louer ? Etc.
In fine, le territoire devra loger de grandes catégories de ménages aux profils différenciés, par exemple :
- entrants temporaires souvent seuls ;
- entrants permanents plutôt en famille ;
- ménages du territoire, notamment ceux qui ont déjà du mal à se loger et dont le parcours résidentiel va être perturbé ;
- temporaires « habituels » : alternants et intérimaires éprouvant déjà des difficultés à trouver des logements adaptés (courte durée, faibles loyers…)
Des enjeux transverses sont également à prendre en compte :
- la localisation de l’offre : proposer la bonne offre de logements au bon endroit ;
- le calendrier des arrivées : gérer l'évolution de la demande entre la période du chantier et celle qui suivra la mise en service de l'EPR (2037).
Une programmation nécessairement innovante
La sobriété foncière, qui s'imposera de manière accrue, doit indiscutablement constituer dès aujourd'hui une priorité. Plusieurs principes peuvent être adoptés.
- Privilégier la construction d’immeubles collectifs plutôt que de logements individuels. Cela impliquera un effort d'innovation pour rendre les logements collectifs désirables, en leur apportant des qualités capables de rejoindre celle de la maison avec jardin, ou en jouant sur les prix grâce à l'accession sociale et aux montages dissociants.
- S'attaquer à la transformation de friches (commerciales notamment) et au réemploi de bâti existant, d'où un co-bénéfice pour la collectivité en termes de résorption de la vacance et de renouvellement urbain, avec le concours des acteurs du foncier (aménageurs, EPF).
- Faciliter la mobilité résidentielle : produire des logements pour les séniors permet par exemple de libérer une partie du parc de maisons ou de logements familiaux pour répondre aux besoins des familles en mobilisant moins de foncier.
S'agissant de la temporalité, des logements mobiles (tiny house…) constituent une première réponse, mais il faut également envisager une offre pérenne « en dur » qui soit réversible. La réversibilité peut porter sur l'usage, par exemple quand des appartements en colocation pour salariés temporaires deviennent des logements familiaux au terme du chantier. Elle peut aussi porter sur le statut d'occupation, quand des biens locatifs sont vendus en accession, classique ou sociale. D’où l'importance d'associer les bailleurs à la réflexion.
Il est clair, en outre, que des capacités d'adaptation seront à trouver dans un contexte de forte mise en tension du territoire. D'où la nécessité de réfléchir aux marges de manœuvre possibles, c'est-à-dire aux éléments sur lesquels un ménage peut transiger en contrepartie de la localisation et de l'accès à l'emploi. Une bonne connaissance des évolutions sociétales sur le rapport au logement est ici indispensable.
Un projet de territoire
Finalement, l'arrivée de ce grand équipement invite à se projeter dès aujourd'hui au-delà de sa livraison, dans un territoire et une société profondément transformés. C'est donc une extraordinaire occasion pour penser un développement territorial structuré, intégrant tous les défis d'aujourd'hui : sobriété foncière, mais aussi mobilités décarbonées et transports collectifs, mode de vie et de (télé)travail, e-commerce et logistique urbaine…
En conclusion, nous pensons que, pour que l’arrivée d’un grand projet sur un territoire soit acceptable pour tous, il doit être pensé comme une opportunité pour le dit territoire. Il demandera une grande coordination des acteurs, des ajustements par rapport aux politiques actuelles et aux attentes des ménages, mais permettra à un territoire « détendu » de se structurer, de renforcer ses polarités et d'anticiper les évolutions de la société.
[1] Nous avons d'ailleurs appliqué la même démarche au territoire de Grand-Orly-Seine-Bièvre, pour anticiper les besoins liés à la métropolisation et la tertiarisation des première et seconde couronnes franciliennes.
Propos recueillis par Hélène Boreau, consultante senior
©pexels - shvets-production
Réagissez