Un des éléments déclencheurs de la crise du neuf que nous connaissons est la hausse brutale et historique des taux d’intérêt mi-2022, qui a impacté fortement à la baisse les capacités d’achat des ménages. Dès lors, l’appariement entre offres et demandes s’est trouvé compromis dans de nombreux cas, entraînant un coup de frein brutal des commercialisations.
Même si les taux d’intérêt, après un pic à 4.21 % en novembre 2023[1], ont connu une décrue en 2024, ces derniers restent significativement plus élevés qu’en juillet 2021 (1.03 % versus 3.46 % en octobre 2024). L’écart entre ce que les ménages peuvent se payer et les prix, notamment du neuf, reste élevé : les ventes peinent donc à repartir.
Deux options s’offrent alors au vendeur : baisser ses prix de vente, ou trouver les moyens de « resolvabiliser » les ménages. Dans le neuf, la première option se confronte à la rigidité des coûts de production d’une opération. Leur rationalisation ne suffit pas, pour l’instant. Reste donc à chercher du côté de la solvabilité des ménages.
Re-solvabiliser les ménages
Certains acteurs se sont tournés vers des montages permettant de « partager » le prix entre plusieurs acquéreurs : emphytéose, accession progressive ou co-investissement. Lire l’article de Lucile Magnaldo sur le sujet.
D'autres (Cogedim, Nexity, LNC et d’autres), plus récemment, en parallèle d’un travail sur la rationalisation des coûts de production, ont conçu des solutions financières négociées avec leurs partenaires bancaires. Ces offres sont pour l’instant tournées vers les primo-accédants, même si certains opérateurs annoncent qu’ils vont ouvrir à terme ce type d’offre à d’autres cibles : secondo-accédants, voire investisseurs.
Un « cadeau » atypique : le prêt bonifié négocié
En réalité, ces offres sont des packages de plusieurs types d’aides : remise par pièce (de 5.000 € à, exceptionnellement, 10.000 € par pièce), exonération des frais de notaires, annulation des intérêts intercalaires (intérêts payés par le ménage sur les fonds débloqués par la banque lors des appels de fond du promoteurs) et, chose moins classique, baisse du taux d’intérêt de l'emprunt.
Comme on le sait, plus les taux sont élevés, plus l’argent emprunté « coûte cher » et plus la mensualité de remboursement du ménage sera élevée. Avec un ratio mensualité / revenu mensuel du ménage plafonné en général à 33 % par les banques (35 % pour les clients fidèles) et des durées d’emprunt également plafonnées à 25 ans[2], jouer sur les taux constitue le principal levier pour augmenter la capacité d'emprunt des ménages. L’offre des promoteurs consiste à rabattre le taux d’intérêt finalement appliqué entre 1.5 % et 2 %, au lieu d’environ 3.5 % aux conditions bancaires actuelles.
Ces mécanismes financiers redonnent donc du pouvoir d’achat immobilier aux ménages, du moins à court terme. Pour relancer une activité en chute libre, les promoteurs proposent, en quelque sorte, de reproduire les conditions de financement d’avant mi-2022 pour permettre aux ménages d’acheter dans le neuf. Les résultats qu’ils ont communiqué semblent indiquer que cela fonctionne… dans des volumes et sur une cible (primo-accédants) pour l’instant limités toutefois.
Une réflexion plus large sur le financement de l’accession
Ces dispositifs s’inscrivent dans une (re)mise en réflexion plus large, qui dépasse la question de la promotion neuve, sur les mécanismes financiers alimentant les capacités d’achat des ménages. Elle fait appel à trois types de leviers :
- Les prêts bonifiés-négociés proposés par des promoteurs, dont nous venons de parler
- Les prêts bonifiés par les entreprises. Tout le monde connait le « 1 % logement » (devenu Action Logement), qui correspond à une cotisation de l’ensemble des entreprises privées de plus de 50 salariés. Ces fonds permettent notamment (mais pas uniquement) d’aider les salariés à accéder à la propriété via des prêts avantageux. On pourrait aussi intégrer ici le Prêt à Taux Zéro ou les prêts de la Sofiap (filiale de la Banque Postale) bonifiés par la prise en charge partielle des intérêts par l’entreprise du salarié emprunteur.
- D’autres natures de prêts (différents des prêts à taux fixe reposant sur les revenus des ménages pour le dire vite) : prêts in fine et hypothécaires notamment, lesquels existent déjà sous différentes formes dans la législation française et ressurgissent régulièrement dans les débats.
Attention aux effets pervers
Face à la baisse des ventes, jouer sur les conditions financières de l’achat immobilier est une tentation légitime. On pourrait, au-delà de la diminution des taux, autoriser des taux d’effort plus élevés, allonger encore la durée d’emprunt, etc. Les effets de ces mesures ne doivent toutefois pas être fantasmés. D’abord parce qu’il n’y a pas de corrélation directe et mécanique entre le niveau des taux d’intérêt, par exemple, et la dynamique de l’activité immobilière. Ensuite parce que si cette approche par le financement peut « sauver les prix », voire les faire monter, le risque est qu’elle conforte voire augmente le décalage structurellement installé, depuis au moins 2005, entre les revenus des ménages et les prix des logements. Il ne faudrait pas que ces techniques financières détournent notre énergie de la recherche des nécessaires nouveaux équilibres de production.
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