Métier d’avenir : le portage foncier à risque

À mesure que s’impose la ZAN, le portage foncier des opérations immobilières est de plus en plus risqué et gourmand en fonds propres. Pierre d’Oysonville, directeur investissements au sein de Mirabaud Asset Management, présente le modèle de ce gestionnaire d’actifs spécialisé dans le financement du risque foncier. 

Nicolas Debruyne

Publié le 17/05/2024

 

Quels sont les fonds immobiliers gérés par Mirabaud AM ?

Pierre d'Oyssonville

Pierre d’Oysonville. Mirabaud AM est la filiale d’asset management de la banque du même nom basée à Genève. En 2019, Mirabaud AM a ouvert un premier fonds appelé « Mirabaud Grand Paris » pour financer des projets immobiliers en Île-de-France. Doté de 150 M€, il a été presque entièrement déployé, dans un portefeuille qui représente aujourd’hui 24 opérations. Nous en avons ouvert un second, « Mirabaud Sustainable Cities », en cours de levée, qui investira aussi en régions et pour 10 % en zone euro. 

Et bien sûr, cet investissement à risque est particulièrement recherché…

Oui, car les vendeurs sont de moins en moins enclins à vendre sous conditions suspensives. C’est vrai des particuliers qui ont été échaudés par des ventes qui n’en finissent pas, mais aussi des institutionnels qui souhaitent se défaire rapidement d’actifs immobiliers, notamment obsolètes, quitte à les vendre moins cher, pour réinvestir leurs fonds autrement. Vis-à-vis de ces vendeurs, pouvoir conclure rapidement est un vrai avantage concurrentiel pour l’opérateur immobilier qui cherche à maîtriser un foncier, et c’est ce que nous apportons. D’autant que nos fonds sont fermés et discrétionnaires : cela aussi rassure les vendeurs.

Fermés et discrétionnaires, c’est-à-dire ?

Fermé, cela veut dire que les fonds collectés sont immobilisés pendant 8 ans et ne peuvent donc être retirés. C’est un vrai avantage de Mirabaud AM, par rapport à des SCPI qui, elles, sont liquides. Discrétionnaire signifie que la décision d’investissement projet par projet est entièrement déléguée par les investisseurs des fonds à Mirabaud Asset Management. Autrement dit, quand nous investissons dans un projet, nous ne sommes pas exposés à un changement de stratégie venu d’en haut. Un autre avantage est que la gestion discrétionnaire nous rend très réactifs : une fois le dossier complet constitué par l’équipe, il nous faut seulement une semaine pour le faire accepter par notre comité d’investissement et nous parvenons à décaisser les fonds sous 45 jours maximum.

Quel est le niveau de rémunération des fonds ?

Pour les investisseurs qui placent leur argent, nous proposons un TRI de 12 % à 14% à la clôture du fonds, ce qui est cohérent avec le niveau de risque. Cela nous amène à viser une rémunération de 17 % pour les fonds propres que nous plaçons dans les opérations, un taux pas très éloigné de ce qui peut être attendu par les fonds propres en promotion immobilière. Mais nous forfaitisons notre rémunération : c’est un autre de nos points forts vis-à-vis des opérateurs immobiliers, à qui cela donne beaucoup de visibilité. Inutile de préciser que nous regardons de très très près le calendrier de l’opération avant de nous engager, ainsi naturellement que le bilan élaboré par l’opérateur.

Le prix du risque est élevé : comment rendez-vous sa rémunération compatible avec le marché du logement ?

Nous y veillons, bien entendu, car nous savons que les prix de vente ne sont pas élastiques. Grâce aux atouts que j’évoquais plus haut, nous avons un pouvoir de négociation vis-à-vis du vendeur du foncier, et nous le faisons valoir. Nous renégocions avec ce dernier la charge foncière que l’opérateur a porté à son bilan, de sorte à ce que, dans l’idéal, la décote obtenue couvre la rémunération des fonds propres. Dans certains cas, une partie de la rémunération sera prélevée la marge de l’opérateur.

Qui sont les investisseurs qui abondent vos fonds et pourquoi ?

Ce sont très majoritairement des institutionnels français ou européens, et un peu de family offices. Nos fonds ne sont pas adaptés aux petits porteurs car le sous-jacent est assez technique, une bonne culture de la promotion immobilière est nécessaire pour comprendre l’utilisation qui est faite des fonds et la nature des risques. En outre, nous sommes attachés à ce que les investisseurs nous suivent dans la durée.

Ce qu’ils trouvent chez nous, c’est d’abord une thématique claire, produire du logement ;  avec, en France, des tendances lourdes plutôt rassurantes pour l’investisseur : on manque de logements, le foncier va devenir non seulement plus rare du fait de la réglementation ZAN, mais aussi plus cher car il va falloir se tourner vers des actifs tertiaires obsolescents coûteux à transformer. Par ailleurs, il s’agit d’investissements durables qui répondent aux exigences de l’Article 9 de la classification SFDR [du règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers]. Et enfin, ils sont très attachés à la présence d’une équipe d’experts qui sait analyser les projets de promotion immobilière, ce qui est une spécialité plutôt rare dans le secteur financier.

Comment sélectionnez-vous les opérations dans lesquelles vous investissez ?

Pour le fonds Mirabaud Grand Paris, il y a un critère régional – l’Île-de-France. Pour les deux fonds, nous exigeons la proximité de transports urbains lourds, c’est assez classique, et les critères environnementaux de l’Article 9 (pour une partie des projets sur le fonds Grand Paris et en totalité sur Sustainable Cities), qui correspondent pour nous, notamment, à la RE2020 et au fait de ne porter que des fonciers déjà artificialisés entre autres ambitions environnementales. De surcroît, nous privilégions aujourd'hui les actifs de bureaux à transformer, c’est pour nous un axe stratégique de développement, un autre à moyen terme étant un développement en Europe.

Nous respectons un seuil consistant à ne pas investir plus de 20 % du fonds dans un même projet. Et nous rencontrons toujours la collectivité avant de signer, pour nous assurer que le projet envisagé est compatible avec sa stratégie.

En ce qui concerne le type de programmes, depuis 2020, nous investissons quasiment à 100 % en résidentiel, en privilégiant les résidences gérées, même si nous ne fermons pas la porte à l’accession en vente au détail, ni au bureau de manière ponctuelle, pourquoi pas en région à l’avenir.

Pourquoi les résidences gérées ?

Parce qu’elles sont vendues en bloc, ce qui donne beaucoup plus de visibilité que la vente au détail dans le contexte actuel. Par ailleurs, la transformation de bureaux en logements est plus facile quand il s’agit de résidences gérés (hôtellerie, résidence étudiante, co-living…). Et enfin, le fait de connaître l’exploitant en amont est sécurisant. 

Quels sont vos partenaires privilégiés parmi les promoteurs immobiliers ?

Dans la même logique de diversification que pour les projets, nous nous interdisons d’investir plus de 30 % du fonds avec un même opérateur. Nous visons plutôt les grands opérateurs nationaux, principalement parce qu'ils rassurent les investisseurs de nos fonds. Pour le fonds Mirabaud Sustainable Cities, nous n’excluons pas de collaborer aussi avec des leaders régionaux.

Comment s'articulent les fonds dont vous parlez et vos partenariats avec Nexity et Linkcity / Fonds Neapoli ?

Ce sont bien des partenariats, et non des fonds contrairement à ce que l’expression « fonds Neapoli » laisse entendre. L’argent que nous investissons avec ces partenaires vient de nos deux fonds. Nous avons signé avec eux des accords-cadres qui nous permettent d’accéder plus facilement au flux de leurs opérations à l’échelle nationale, et qui nous font gagner du temps dans le traitement des dossiers. Mais cela n’empêche pas les partenariats « de fait » avec d’autres opérateurs avec lesquels nous travaillons régulièrement. 


©diego - unsplash

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