Comment produire des logements abordables quand le foncier devient inabordable ?

Florence Menez a participé le 6 octobre dernier aux Assises nationales du foncier et des territoires à Nancy, organisées par le LIFTI. Ce qu'elle retire de ce rendez-vous professionnel aux échanges aussi nourris que variés : il est plus que temps d'agir en profondeur face à la hausse des prix du foncier.

Florence Menez

Publié le 10/11/2022

 

De retour des Assises nationales du foncier et des territoires.

Les acteurs publics et privés de l'immobilier font déjà état de tensions préoccupantes sur le marché du foncier, où la hausse des prix rend de plus en plus difficile l’équilibre économique des opérations immobilières et urbaines. La perspective du ZAN accentue cette pression, créant une rareté de la ressource par l'obligation de construire sur des fonciers en renouvellement.

C’était au cœur des débats et des échanges : il faut désormais dépasser le constat d’un foncier rare et cher et trouver ensemble les leviers d’action pour produire un foncier abordable, répondant aux exigences d’une société bas-carbone et soucieuse de la préservation de son environnement.

Des témoignages préoccupants de dérèglement du marché

Il se dit que certaines pratiques opportunistes tendent à se propager. De plus en plus, des opérateurs immobiliers achètent sans conditions suspensives certains fonciers « en devenir », dont le changement de vocation n’est pas assuré. Cela est attesté dans plusieurs territoires, en particulier en zone tendue, où des locaux d’activités sont achetés à prix fort en vue de construire des immeubles d’habitation, alors que le zonage du PLU est encore en zone d’activité. Ce prix fort est un pari, résultant d’une programmation et de prix de vente hypothétiques. De manière classique, l’opérateur raisonne par « compte à rebours », or ce compte à rebours reste théorique dans la mesure où les conditions de transformation du foncier ne sont pas acquises. Si l’opérateur prend un risque réel, cela a aussi pour conséquence de générer des valeurs de référence élevées.

Ces pratiques engendrent donc de facto une augmentation des prix, comme en témoigne le promoteur GA Smart Building. Il dénonce plus généralement le manque de régulation de la profession, qui courrait à sa perte. Les prospecteurs fonciers sont le plus souvent payés à la commission, indexée sur le prix d’achat du foncier. Cet intéressement, ajouté à la rude compétition pour accéder au foncier, participe à la surenchère sur les prix, qui s'éloignent dangereusement des valeurs de marché. Au point que ce promoteur n’a plus d’équipe de prospection foncière et se concentre désormais sur les consultations publiques.

Les témoignages des cabinets DS Avocats et Thomé-Heitzmann , qui accompagnent entre autres des collectivités et des aménageurs publics dans leurs procédures d’expropriation, abondent dans ce sens, et ce sur l’ensemble du territoire français. Le juge des expropriations se base sur les valeurs de marché d’un bien pour fixer la valeur de transaction. En règle générale, il procède par valeurs de référence, en recherchant sur le marché des biens comparables vendus. Dès lors que des opérateurs achètent des biens à des prix plus élevés que les valeurs vénales, ces valeurs de référence sont « anormalement » hautes, pénalisant ainsi toute la chaîne de l’aménagement. Il y a donc urgence à agir !

Absence, impuissance ou insuffisance des politiques foncières publiques

Le sujet de la rareté du foncier et de son renchérissement créé toujours autant de débats, entre ceux qui fustigent des documents de planification contraignants avec des droits à urbaniser insuffisants, et ceux pour qui la valeur d’un foncier est de toute façon indépendante des mécanismes d’ajustement de l’offre et de la demande.

Tous s’accordent néanmoins sur la nécessité d’affirmer des politiques foncières fortes de la part des acteurs publics. Or une autre préoccupation exprimée lors de ces Assises est justement leur faiblesse.

Trop de retard à rattraper. Peu de collectivités se sont emparées du sujet ces dernières décennies, laissant faire le marché. Par conséquent, il y a des lacunes en matière de régulation des prix. Les politiques de rattrapage sont difficiles à mettre en œuvre et nécessitent des moyens considérables, en termes humains aussi bien que financiers. Les témoignages des métropoles de Lyon et de Bordeaux sont précieux en ce sens. Malgré des services compétents et des enveloppes budgétaires importantes, les prix continuent d'augmenter. Le représentant de Bordeaux Métropole estime qu’il faudrait un budget public équivalent aux investissements fonciers privés pour pouvoir peser sur le marché, soit environ 200 à 300 millions d’euros par an. Bien évidemment, une telle enveloppe n’est pas disponible et il faut agir autrement.

Des stratégies menées à l'envers. Ce sont encore trop souvent les politiques "sectorielles" (économie, habitat, transports, alimentation…) qui déterminent les besoins en foncier correspondants. Cela génère des conflits d’usage sur certains fonciers. Cela tend aussi à faire monter les prix dès les projets ou les orientations politiques annoncés. C'est pourquoi, surtout à l'heure du ZAN où la gestion de la ressource devient de plus en plus stratégique, il faut inverser la logique et partir d'une stratégie foncière globale, en facilitant la maîtrise foncière à long terme, dans une logique d’anticipation, a rappelé l’EPFL de Haute-Savoie.

Ce dernier plaide pour une politique foncière de long terme, sur laquelle viennent se greffer des politiques sectorielles : PLU, PLH, PDU. Un exemple est donné avec le quartier de l’Étoile à Annemasse. Ce quartier, au cœur d’un réseau de transports assurant des connexions directes aux zones d’emploi, a fait l’objet d’une politique foncière depuis 25 ans, préalablement à l’énonciation du projet urbain. Il était évident que ce quartier de gare allait être amené à se redévelopper et à se densifier. L’agglomération d’Annemasse, appuyée par l’EPFL de Haute-Savoie, a ainsi acquis des fonciers en prévision du futur projet. Les fonciers les plus stratégiques étant sous maîtrise publique, il a été plus facile d'aménager le secteur. S’appuyer sur les EPF (ceux de l'État comme ceux des collectivités territoriales) permet de constituer des réserves foncières qui vont contribuer à stabiliser les prix fonciers. Ils apportent aussi une ingénierie spécifique et technique sur les questions de gestion foncière.

Solutions à développer

Plusieurs pistes de solutions ont été énoncées, dont certaines sont déjà mises en œuvre et mériteraient quelques ajustements pour gagner en efficacité.

Charges foncières fixes. Dans les opérations d’aménagement et plus globalement sur les fonciers publics, certaines collectivités ou EPF pratiquent des prix administrés. Autrement dit, la consultation publique fixe le niveau de charge foncière attendu, la mise en concurrence des opérateurs est faite uniquement sur des critères de qualité des projets : niveau d’exigence sur le choix des matériaux, performance énergétique et aujourd'hui performance environnementale des constructions. Cette pratique avait été expérimentée dans les premiers EcoQuartiers des années 2000/2010. Toutefois, l’envolée des prix fonciers et le besoin des collectivités de trouver des financements n'a pas permis la généralisation de cette pratique. À l’heure actuelle, l’EPFIF (EPF Île-de-France) renoue avec ce principe et tend à le généraliser sur ses fonciers. À la vente du foncier, l’opérateur lauréat de la consultation publique est engagé sur un niveau de qualité de sa construction et l’EPFIF fait jouer une clause de séquestre. Au moment de la livraison, si les engagements sont respectés, l’EPFIF restitue le séquestre à l’opérateur.

Montages dissociants. Les montages dissociant le foncier du bâti, qui attribuent la propriété foncière à une structure d’intérêt public, sont plébiscités et en fort développement. Les organismes fonciers solidaires (OFS), en plein essor, permettent de neutraliser le prix du foncier pour offrir des logements en accession sociale à des prix compétitifs. Une multitude d’autres solutions, à partir de baux emphytéotiques ou de baux à construction inversés ou non, sont également regardées de près. Ces solutions supposent néanmoins une mobilisation importante de fonds publics.

Captation de valeur. Pour les acteurs publics, la dissociation foncier/bâti reste une « rustine » nécessaire, mais elle ne règle pas fondamentalement le problème. D’autres stratégies sont alors mises en œuvre pour neutraliser le coût du foncier, à travers la captation de la valeur créée lors de sa transformation. De nombreux opérateurs publics envisagent ou ont mis en place des filiales telles que des foncières de gestion patrimoniale ou des sociétés de co-promotion. Il s’agit alors de raisonner en  termes d'économie globale du projet, de l'anticipation foncière en amont à l’exploitation en aval. Vilogia, dont le cœur de métier reste la production et la gestion de logements sociaux et abordables, a déjà remonté la chaîne de production de logements en créant une direction de l’aménagement facilitant ainsi l’accès au foncier. Aujourd’hui cela n’est plus suffisant et Vilogia crée des SCCV avec des promoteurs pour réaliser la partie « logements libres » de ces projets urbains et capter ainsi la valeur créée par la promotion immobilière. La question se pose également de garder en patrimoine, à travers des filiales dédiées, des locaux à vocation économique et commerciale.

Comment aller plus loin ?

Des solutions existent donc pour « faire avec » l’augmentation du coût du foncier, mais elles peinent à faire baisser les prix, voire à les stabiliser. Chacun s'accordera sur le fait que cette situation n’est plus tenable, d’autant moins dans un contexte de retour de l'inflation et de pénurie énergétique. Pour autant, le débat est vif entre les tenants d'un changement radical de modèle de production et ceux qui se contenteraient de procéder à des ajustements.

Réforme fiscale ? Certains dysfonctionnements ont leur origine dans notre régime fiscal. Un exemple : l'exonération des plus-values foncières au bout de 30 ans incite à la rétention plutôt qu'à la libération du foncier. Ces questions fiscales – celle-là et d'autres – restent encore largement confinée à la sphère académique et, même si plusieurs écrits (ouvrages, articles) revendiquent une réforme profonde, une reforme fiscale ne devrait pas être à l'ordre du jour dans les prochaines années. Le sujet est techniquement et politiquement complexe, et nécessite de bien évaluer les effets induits par une évolution du système fiscal. Au mieux, nous pourrions espérer à court terme quelques ajustements, comme des modifications de taux. Les débats en cours sur la mise en œuvre du ZAN font écho à des propositions en ce sens, suite notamment au rapport du sénateur Blanc.

Contractualisation dans les documents d'urbanisme. En revanche, une proposition faite durant les Assises mériterait d’être creusée afin de définir ses conditions de faisabilité. Ainsi, à travers son document d’urbanisme, la collectivité désigne des secteurs de projets, de changement de vocation ou de densification et octroie ainsi une nouvelle valeur foncière à ces secteurs. Pourquoi ne pas instaurer, lors de l’élaboration de ce document, et tout particulièrement des orientations d'aménagement et de programmation (OAP), une forme de convention, sinon de contractualisation, entre les différentes parties prenantes (collectivité, opérateurs et propriétaires fonciers). Elle viserait à s'accorder sur le programme, mais également l’économie du projet et donc la valeur foncière cible. Cela apporterait plus de transparence et une meilleure articulation entre urbanisme de plan et urbanisme de projet.


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