Youse veut contribuer à bâtir une ville durable : qu'entendez-vous par là ?
Sébastien Lapendry. Pour nous, une ville durable se développe au moyen d'opérations mixtes et servicielles, inclusives et écologiques. Les deux premiers critères sont liés : une des grandes problématiques des métropoles, ce sont les déplacements du quotidien, domicile-travail ou autre. Pour éviter d'aggraver les mouvements pendulaires depuis des quartiers strictement résidentiels vers des quartiers strictement tertiaires, ou vers des zones commerciales, il faut tendre au rééquilibrage des territoires en matière de fonctions urbaines.
C'est pour cela que toute opportunité foncière appelle une réflexion sur les usages. Il faut commencer par se demander ce que le projet va pouvoir apporter à son environnement immédiat ou son quartier.
La dimension inclusive des projets vise bien sûr la mixité sociale mais aussi fonctionnelle. En fait, il s'agit d'appliquer aux activités le principe de péréquation que l'on connaît bien pour le logement social. Certaines activités économiques, culturelles ou sportives sont moins solvables que le commerce ou les bureaux, mais tout aussi utiles. Dans nos projets, nous appliquons des péréquations aux prix des espaces d'activités que nous vendons. C'est ce qui nous permet par exemple de créer des espaces d'intérêt collectif destinés à la sensibilisation à la transition écologique et sociale au sein de Le Chalet du Parc à Lyon, qui est d'abord un lieu de séminaire-conférence avec un restaurant.
La troisième dimension porte sur la qualité de nos constructions et une démarche environnementale qui intègre l'impact carbone sur tout le cycle de vie et mise beaucoup sur la végétalisation pour ses effets sur la température et la santé.
Le Chalet du Parc (Lyon) : l’espace de sensibilisation. © Youse/LFA/CHV/ Filippo Bolognese Images
Comment les collectivités expriment-elles leurs attentes en matière d'usages ?
La collectivité a des objectifs de politique publique qu'elle souhaite logiquement intégrer aux projets immobiliers. Depuis une dizaine d'année que je réponds aux consultations publiques, j'observe un changement qui va dans le bon sens. Les cahiers des charges avaient tendance à être très précis, à définir le programme au mètre carré près. Cela pouvait avoir un côté très rigide. Aujourd'hui, de plus en plus de consultations se contentent d'exprimer l'enjeu, ce qui laisse plus de place à l'innovation des opérateurs. À Grenoble par exemple, nous avons remporté une consultation dans laquelle la programmation n'était absolument pas énoncée. L'îlot devait accueillir un projet immobilier qui apporte de l'attractivité au territoire de la Presqu'île scientifique, libre aux opérateurs de proposer des programmations mixtes.
Qu'y a-t-il de différenciant dans votre approche ?
Il n'y a aucune forme d'industrialisation dans nos projets. Chaque contexte va donner lieu à un projet unique dont la finalité est d'entrer en relation durable avec le territoire dans lequel il va s'implanter. Chaque fois, finalement, nous partons un peu d'une copie blanche, en plaçant les usages et les usagers au cœur de la conception de nos projets.
Nous poussons aussi très loin la dimension collaborative, en associant un grand nombre d'expertises et des sensibilités diverses à la conception et la réalisation de nos programmes. Nos équipes de maîtrise d'œuvre s'étoffent avec les années. Il y a encore quelques années, avec un architecte, un bureau d'études fluides, un bureau d'études de structure et un économiste, on avait une équipe de maîtrise d'œuvre. Depuis, on y a ajouté un bureau d'études de haute qualité environnementale, un écologue, un acousticien et maintenant un bureau d'études réemploi.
Y a-t-il des choses plus faciles que d'autres autour de ces questions d'usage ?
Il n'y a vraiment rien de facile ! Tout est dans la méthodologie et dans le soin apporté au cahier des charges de conception. Nous commençons souvent par de longues interviews avec les futurs exploitants (qui représentent une grande partie de nos clients). Parfois, ils ont des cahiers des charges très précis, mais un peu statiques et il faut savoir les réinterroger. C'est aussi un processus très itératif dans lequel le client est intégré à l'équipe de conception. Et cela tend à se prolonger jusque dans les phases de réalisation et de chantier.
Quelles sont les erreurs à éviter ?
Remettre à plus tard des questions sur les besoins intrinsèques à la qualité d'exploitation. Soit on a bien réglé au départ la logique d'organisation des services et de circulation des flux à l'intérieur d'un bâtiment, soit on ne l'a pas fait et, plus tard, ça va être très difficile de régler ce type de problème. C'est pour cela qu'il est utile de visiter les installations existantes des clients futurs exploitants. Par exemple, pour notre projet All in Tennis Academy, nous avons interviewé plusieurs personnes incarnant des profils d'utilisateurs – des joueurs de tennis, des entraîneurs, un restaurateur, etc. – en leur demandant de nous raconter leur expérience et de nous signaler les choses à bien prendre en compte dans la conception du projet. C'est du temps gagné pour plus tard.
Comment anticipez-vous les éventuels conflits d'usage de l'espace ?
Un premier stade de réflexion consiste à éviter de créer des situations de conflit par des programmations incompatibles entre elles, ou bien à traiter ces conflits potentiels quand on le peut. Par exemple, une école génère des flux d'élèves et de parents le matin et l'après-midi, et la cour est bruyante au moment de la récréation. Il faut pouvoir traiter ces différents sujets en amont.
Le second stade consiste à faire en sorte que les activités se renforcent les unes les autres. Par exemple, dans notre projet People Connect, l'hôtel séminaire et l'espace de spa fitness, qui ont deux exploitants différents, ont intérêt à être ensemble pour profiter à leurs clients respectifs, à condition de bien organiser physiquement leur relation. C'est une mixité gagnant-gagnant.
Comment être sûr que les usages que vous imaginez sont pérennes ?
On ne peut pas en être sûr à 100 % ! Ce serait très prétentieux de prétendre le contraire. Quand la crise du covid est arrivée, des modèles très anciens, éprouvés ont été complètement remis en question. Il faut donc vraiment s'attacher à concevoir des bâtiments dont la structure permette un réagencement des volumes intérieurs, pour les adapter le moment venu à de nouveaux usages. C'est pour cela qu'il faut concevoir les socles comme des "volumes capables", qui pourront accueillir des activités différentes dans le temps. Ou penser à la réversibilité : un appartement en coliving doit pouvoir être transformé en logement familial. Finalement, le fait de diversifier les usages au sein d'un bâtiment, cela complexifie la conception, mais cela ne le "durcit" pas.
Propos recueillis par Jeanne Bazard et Bénédicte Coulon
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