Trois leviers pour mettre enfin la production de logements sur de bons rails

La rentrée verra se rouvrir le débat sur la relance de la production de logements. Une nouvelle occasion de rappeler l’incontournable nécessité d’une réforme structurelle, alors qu’un plan de relance en mode business as usual ne ferait que précipiter la prochaine “crise”.

Laurent Escobar

Publié le 09/09/2021

 

La commission Rebsamen, à laquelle ADEQUATION a indirectement participé 1, rendra bientôt au Premier ministre ses conclusions sur les moyens de relancer la construction de logements.

La situation est pour le moins préoccupante.  Il y a maintenant deux ans que la production de logements neufs a brutalement chuté, et elle ne s’est pas encore relevée ; la timide reprise des trois derniers mois a essentiellement porté sur le logement individuel. 

Par sa formulation, la lettre de mission de Jean Castex est une manière de reconnaître l’existence d’un dysfonctionnement structurel de la production de logements en France, et non d’un simple phénomène conjoncturel. 

Il faut insister sur ce point car ce dysfonctionnement, installé de longue date, est particulièrement pervers : il se traduit par des cycles de plus en plus rapprochés, si bien que la production repart assez vite à la hausse en mode business as usual, renvoyant indéfiniment les réformes structurelles à la prochaine chute. 

Voilà pourquoi nous plaidons depuis longtemps pour une réforme profonde, dont nous souhaitons ici développer trois objectifs à nos yeux prioritaires :

  • Massifier la production de nouveaux logements sur les segments à fort potentiel

  • Territorialiser la politique du logement  

  • Inscrire la production dans des projets concertés, suivis et ajustés en continu

1- Massifier la production sur les segments à fort potentiel

Plusieurs modes de production de logement méritent soit d’être regardés autrement, soit d’être tirés de la marginalité où ils sommeillent.

  • Défiscalisation de type Pinel dans les villes moyennes. Il faut ici inverser la logique : cibler et conditionner l'incitation fiscale dans les zones tendues (A et B1), où les particuliers ont de moins en moins les moyens d’investir et où les institutionnels devraient prendre le relais, et la réintroduire dans les villes moyennes (B2) où les besoins en collectif sont cumulativement significatifs.

  • Nouveaux logements dans l’ancien. La rénovation de l’ancien permet de produire de nouveaux logements bien isolés, structurés selon les besoins actuels des ménages (division de grands logements en logements plus petits) sans artificialisation des sols. Il faut donc encourager fortement la production de logements locatifs dans l’ancien, notamment en promouvant plus auprès des particuliers le régime fiscal du déficit foncier2.

    Cependant, c’est la mobilisation des investisseurs institutionnels qui constituera le principal levier. Ils en ont les capacités de financement et ils sauront concevoir et mettre en œuvre les instruments juridiques et opérationnels adaptés : véhicules de collecte de l’épargne, montages associant les propriétaires et les copropriétés…

 

  • Propriété progressive ou partielle. C’est nous qui suggérons cette expression pour englober l’ensemble des montages dissociants existants ou à venir, dont le BRS ou le PSLA ne sont que deux des multiples formes possibles. Très loin de répondre aux besoins, leur usage devrait être multiplié par dix.


Il faut ici se rendre à l’évidence : plus d’un ménage sur trois n’accédera jamais à la propriété de manière classique.  Des formes alternatives de constitution et de sécurisation de patrimoine sont indispensables si l’on ne veut pas condamner les “non propriétaires” à la précarité résidentielle à perpétuité.

 

À l’instar du déploiement du logement intermédiaire

Inverser la logique de la défiscalisation de type Pinel peut passer par une disposition de la prochaine loi de finances. 

En revanche, la restructuration lourde dans l’ancien et la propriété progressive ou partielle requièrent chacune des dispositifs incitatifs puissants, au moins du niveau de ce que l’État a fait pour déployer le logement intermédiaire en 2014-2015. 

La filière ne se mettra réellement en ordre de marche que si l’État exprime une volonté politique claire, accompagnée des incitations appropriées : fiscales, réglementaires ou encore “statutaires”. Par “statutaire” nous entendons qu’il faut valoriser la propriété progressive ou partielle, de sorte à lever tous les freins juridiques ou culturels qui pourraient s’opposer à son déploiement massif en prétextant que ce serait une propriété au rabais.

 

2 - Territorialiser la politique du logement

Territorialiser la politique du logement, c’est la “désuniformiser” pour l’adapter aux réalités locales et responsabiliser les acteurs locaux. Une fois fixés les grands objectifs nationaux, une fois mis en place l’arsenal juridique et le cadre financier nécessaires, libre aux territoires de s’approprier ces outils pour forger leur propre stratégie opérationnelle de manière créative, avec au besoin une part d’expérimentation. 

Pourquoi opérationnelle ? Parce que les logements ne se produisent pas en série mais opération après opération, et que ce sont donc des opérations qu’il faut avoir en ligne de mire – quoi, où, quand, comment, par qui – en concertation entre les collectivités, les services de l'État et les opérateurs publics ou privés du logement.

 

Libérer la créativité 

Pourquoi une part d'expérimentation ? Ou plutôt, pourquoi pas, dès lors qu’elle ne contrevient pas aux objectifs de la politique nationale et permet d’inventer des solutions concrètes à des problèmes concrets ? 

C’est ainsi par exemple que la communauté d’agglomération de Caen-la-Mer a réussi il y a quelques années à développer rapidement l’accession sociale (PSLA) sur son territoire en incitant les opérateurs privés à s’associer avec les bailleurs sociaux pour en programmer une part en mixité dans leurs opérations, et en sollicitant un surcroît d’agréments auprès du préfet, tout simplement.  

Plus récemment, la région Bretagne a su convaincre les services de l’État de redéfinir les secteurs d’éligibilité au dispositif Pinel en fonction des besoins réels de logement locatif privé, jusqu’à l’échelle de l’IRIS dans certains cas. Cela à volume constant de logements aidés (moins en B1, plus en B2) et en concertation avec les opérateurs et les collectivités locales.

 

3 - Inscrire la production dans des projets concertés, évalués et ajustés en continu

Que les territoires deviennent plus libres de se doter d’une stratégie sur mesure, et le besoin de concertation devient aussi plus grand. Les collectivités doivent en effet “embarquer” les promoteurs, investisseurs institutionnels et bailleurs sociaux dans leur projet, obtenir le soutien ou l’accord de l’État.  

Se fait également sentir le besoin de données fiables et précises pour définir les besoins, fixer les objectifs et évaluer les résultats de la politique suivie.

Certes, la concertation et les objectifs sont déjà présents dans l’élaboration des PLH ou des PLUI-H. Mais la logique qui prévaut est souvent plus comptable que “projet(s)” et n’est mobilisée que tous les six ans, ce qui est beaucoup trop long.  

Ce qu’il faudrait, ce sont des projets de territoire partagés, pilotés en continu par des gouvernances ad’hoc : les opérations prévues sortent-elles dans les temps, sont-elles conformes aux engagements programmatiques, rencontre-t-on des anomalies… ? Ce suivi localisé permettrait de réajuster en permanence les conditions de production pour stimuler ou freiner ce qui doit l’être, tout cela en concertation entre les collectivités, les services déconcentrés de l’État, les opérateurs immobiliers et des représentants de la population.

 

Moduler le pilotage suivant les échelles territoriales

On rencontre déjà ce mode de gouvernance et/ou de pilotage dans certains projets urbains de grande taille ou dans certaines villes moyennes inventives. Le généraliser à l’une et l’autre de ces deux échelles permettrait de dynamiser une  proportion non négligeable de la production de logements en France (au moins 25 % à 30 % rien que pour les projets d’aménagement).. 

Pour le reste, c’est-à-dire principalement le secteur diffus des métropoles, un suivi continu des bons indicateurs de la production – parmi lesquels on n’oubliera pas la création de nouveaux logements dans l’ancien ou en propriété progressive ou partielle – devra permettre a minima de piloter certains outils d’incitation : on pense à l’application d’une TVA réduite à l’IRIS par exemple, ou à tout autre moyen que l’État devrait justement proposer, comme nous le disions au point “Massifier la production”.

Peut-être allons-nous, à la faveur de cette nouvelle “crise”, agir enfin en profondeur. La période qui s’ouvre, pour les acteurs du marché, c’est une feuille blanche équivalant à environ 35 % à 40 % de la production (qui s’est provisoirement éteinte) et le sentiment, sinon la certitude, que le signal de la crise sanitaire ne peut être ignoré : il faut reconstruire, en partie, autrement.

Autrement, c’est-à-dire d’autres logements, selon d’autres modes opératoires, pour ajuster la production aux aspirations et aux besoins réels tant des ménages que des territoires.

 

 


1 Le Premier ministre a chargé le député François Rebsamen de constituer une commission d’élus, de professionnels et de personnalités qualifiées pour “objectiver les freins à la construction” et proposer des améliorations au fonctionnement de la “chaîne de l’aménagement et de la construction dans son ensemble”. Plusieurs membres de la commission Rebsamen ont associé ADEQUATION à leurs réflexions.

2 ADEQUATION estime à 35 000 / 40 000 logements le volume annuel d’appartements locatifs mis en chantier par des particuliers, soumis à autorisation de construire, en petits collectifs neufs ou en rénovation lourde sous le simple régime du déficit foncier.

© Yulian Alexeyev - Unsplash

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