"Au sein de l'association Qualitel, le débat sur l'évolution des critères de qualité est permanent"

Antoine Desbarrières est le directeur de l'association Qualitel et président de CERQUAL Qualitel Certification, qui certifie les logements neufs et rénovés et leur délivre la marque NF Habitat (parfois complétée de la marque HQE) en France et à l'international. Nous l'avons interrogé sur la notion de qualité, à la fois normée, subjective, évolutive et objet de maints débats.

Équipe ADEQUATION

Publié le 23/03/2022

 
Antoine Desbarrières

Antoine Desbarrières est le directeur de l'association Qualitel et président de CERQUAL Qualitel Certification, qui certifie les logements neufs et rénovés et leur délivre la marque NF Habitat (parfois complétée de la marque HQE) en France et à l'international.

Norme, marque de qualité, label… Si nous commencions par quelques définitions ?

Les normes sont extrêmement diverses. Elles peuvent porter sur des produits, des équipements, des services, des systèmes de management et bien d'autres choses. Elles offrent un langage commun sur lequel les filières économiques et industrielles se mettent d'accord, et qu' elles vont essayer de partager au maximum avec toutes les parties prenantes, souvent à l'échelle internationale. Le terme de norme est utilisé pour beaucoup de choses différentes, dont parfois les normes "administratives", ce qui entraîne de la confusion. Certaines normes sont d' application volontaire, d'autre sont imposées par la réglementation.

Les marques de qualité sont octroyées à des produits ou des entreprises qui respectent un certain nombre de critères, regroupés dans des référentiels de qualité. Ces critères s’appuient souvent sur les normes existantes, déjà utilisées par le plus grand nombre. L’organisme de certification, impartial et indépendant, va attester de la conformité au référentiel et autoriser l'utilisation de la marque. Là où c'est un peu compliqué, c'est qu'une marque de qualité comme NF Habitat utilise le sigle NF qui signifie "norme française" !

Quant au label, il veut tout dire et rien dire. Mais le terme est parfois employé avec le sens d'une marque de qualité certifiée, dans l'agro-alimentaire par exemple, ou bien par l'État, comme le label BBC.

Quel est le rôle de l'association Qualitel ?

Qualitel est une association dont les membres représentent les consommateurs, les professionnels de l'offre du logement (promoteurs, bailleurs sociaux, syndics…), ceux de la filière construction (architectes, ingénieurs, industriels …) et enfin l'État et les organismes concourant à la qualité du logement comme l’ANAH. Elle a été créée en 1974 pour élaborer le référentiel de la qualité des logements et devenir organisme certificateur de la marque Qualitel, en conformité avec le code de la consommation. À l'origine, rappelons que c'était le moment du premier choc pétrolier, le référentiel portait déjà sur la performance énergétique et le confort thermique ; il se penchait également sur le confort acoustique, sur les équipements électriques qui étaient moins réglementés qu'aujourd'hui, sur la durabilité du bâtiment à travers les coûts d'entretien et de maintenance, et enfin sur la fonctionnalité du logement et la proximité des aménités, transports etc. Qualitel a donc toujours apprécié la qualité des logements de façon globale et multi-critères. 

En 2015, nous avons adossé nos référentiels aux normes internationales en matière de construction durable et adopté le cadre de référence du bâtiment durable, qui définit la qualité au travers de trois grands engagements : qualité de vie, respect de l'environnement et performance économique. De même, nous avons adopté en partenariat avec l’AFNOR la marque NF Habitat.

Était-ce une révolution ? Il semble pourtant que les critères d'origine relevaient déjà du développement durable.

Le référentiel devait évoluer pour tenir compte des évolutions dans les aspirations et les technologies. S'il faut parler de révolution, elle remonte au Sommet de la terre de Rio, au rapport Brutland, au discours de Jacques Chirac à Johannesburg, qui vont notamment donner de la consistance aux travaux de l'association HQE. Pour nous, ces sujets se sont structurés à partir du début des années 2000. Quant aux préoccupations de durabilité, elles étaient effectivement antérieures, mais la dimension environnementale a été amplifiée. Et le référentiel permet de faire les arbitrages nécessaires entre l'environnement, la qualité de vie et la performance économique, en plaçant les curseurs aux bons niveaux.

Ces arbitrages sont importants. Aujourd'hui par exemple, nous visons des objectifs élevés en matière de décarbonation et de performance énergétique. Cela passe notamment par l'isolation et l’étanchéité à l’air des bâtiments, mais si celles-ci empêchent le renouvellement de l'air intérieur, cela va poser de sérieux problèmes sanitaires.  De même en rénovation, cela isole fortement des bruits extérieurs : la perception des bruits intérieurs peut s'en trouver tellement augmentée que le confort acoustique du logement chute.

Le référentiel doit donc permettre de trouver le juste milieu entre ce qu'attendent les habitants, ce qu'il sont prêts à payer, ce qu'on est capable de faire techniquement et économiquement... 

Ces questions sont donc débattues entre consommateurs, concepteurs et constructeurs des logements. Il y a forcément des intérêts contradictoires : pouvez-vous en citer quelques uns ? 

Le débat est permanent, en particulier parce que la qualité a un coût qu'il faut pouvoir supporter. Certains membres font aussi valoir la diversité des contraintes selon les territoires, climatiques par exemple pour les départements et territoires d'outre-mer, mais aussi réglementaires, à travers les PLU.

Un exemple intéressant est celui de la hauteur sous plafond. Nous avons observé assez récemment, grâce à des mesures de qualité effectuées sur un échantillon représentatif du parc de logements, que la hauteur sous plafond à la construction avait beaucoup diminué. Actuellement de 2,40 m en moyenne pour les appartements, elle a perdu exactement 27 cm en 60 ans, alors que dans le même temps la taille des Français s'est accrue de 7 cm. Or nos référentiels de certification ne prenaient pas cette hauteur en compte : nous avions bien essayé d'y remédier mais aucun consensus n'avait été trouvé au sein de l'association. Alors pourquoi cette baisse ? Parce qu'une série de normes de construction, de sécurité et d'urbanisme sont venues indirectement contraindre la hauteur des logements : des gabarits de construction plafonnés, des garde-corps obligatoires sur les terrasses de toit, des normes acoustiques qui obligent à épaissir les dalles et les planchers… Pour garder le même nombre d'étages et préserver l'équilibre économique du projet, il n'y a pas d'autre solution que de réduire la hauteur sous plafond. En 2020, Qualitel a pris la mesure de cela et imposé une hauteur minimale de 2,50 m. Mais le débat a été difficile : nous avons dû admettre à titre temporaire pour les projets déjà engagés une dérogation en cas de règle locale d'urbanisme contraignante. Cette évolution a été une manière de faire prendre conscience que certaines règles devaient évoluer. 

Que sait-on de la qualité perçue par les habitants ?

Il y a un lien direct entre la qualité perçue et la qualité mesurée, pour lesquelles nous faisons réaliser des enquêtes [différentes]. L'enquête sur la qualité perçue, réalisée chaque année depuis 2017, s'appelle "baromètre". Elle porte sur 3000 à 5000 logements représentatifs du parc. Nous avons ainsi pu observer beaucoup de choses. Par exemple que les logements construits dans les années 1945-1970 sont perçus comme moins qualitatifs que les plus anciens ou les plus récents. La note de qualité, qu'on appelle qualiscore a bien augmenté depuis, ce qui montre l'utilité de la réglementation et de la certification. Pour les logements construits actuellement, le qualiscore est de 7,5/10 et il monte à 7,9/10 pour les logements certifiés.

Le baromètre de 2017 a aussi fait ressortir "les cinq plaies du logement", c'est-à-dire les principaux motifs d'insatisfaction des Français : le bruit, l'inconfort thermique d'été ou d'hiver, les problèmes de ventilation, la consommation d'énergie et enfin la qualité des matériaux et des équipements.

Les baromètres suivants ont apporté des enseignements sur les territoires et montré, avant le COVID, que les Français, quel que soit leur âge à l'exception des plus jeunes générations, aspirent à vivre dans des bourgs ruraux plutôt que dans de grandes villes. Cela s'explique par un besoin de calme, de protection contre les canicules en été, d'espace dans son logement. Nous avons aussi réalisé un baromètre pendant la première période de confinement et observé à nouveau un manque d'espace, de rangement : pas de greniers ni de cave, une cuisine trop petite pour faire le tri des déchets…

En 2021, nous avons observé une vraie appétence pour le logement durable. Ces éléments nous aident à faire évoluer nos référentiels. 

Comment faites-vous évoluer le référentiel : au fil de l'eau ou par grandes étapes ?

Il faut plutôt parler des référentiels au pluriel, car nous distinguons par exemple le neuf et la rénovation. Ce dernier évolue d'ailleurs pour être rendu plus accessible compte tenu des besoins en la matière. C'est un travail permanent d'observation de terrain, d'études et de confrontation avec les parties prenantes. Il y a des mises à jour annuelles et des évolutions plus importantes tous les trois ans.

Il faut bien voir que la certification est une démarche volontaire et que l'organisme  certificateur, en l'occurrence CERQUAL Qualitel Certification doit convaincre les promoteurs, les bailleurs ou les syndics de l'intérêt de se faire certifier. La marque qualité est importante, le contrôle est également un bénéfice car il fait entrer l'entreprise dans un processus d'amélioration continue, avec un engagement plus ou moins global selon son choix.  

Sur les éléments de contenu, les grandes évolutions sont souvent liées à des changements de réglementation, que nous anticipons et accompagnons. Aujourd'hui, le sujet majeur est bien évidemment la RE 2020[1], entrée en vigueur le 1er janvier 2022. La question posée est : "À quel niveau au-dessus du niveau réglementaire allons-nous placer le curseur ?" Sachant que cette RE2020 est déjà en elle-même une vraie révolution, ne serait-il pas plus judicieux de relever le niveau d'exigence sur d'autres aspects qui pourraient être mieux traités ?

Quels autres aspects par exemple ?

Le grand changement introduit par la RE 2020 par rapport à la réglementation antérieure consiste à imposer une analyse du bilan carbone du bâtiment sur son cycle de vie, en tenant compte des émissions liées aux matériaux, à la construction et aux consommations énergétiques et d’eau.

C'est une logique comparable à celle de la définition du coût global, qui fait déjà partie du référentiel NF Habitat, mais d'une manière optionnelle. Nous sommes en train de lui donner plus d’importance, ce qui permettra aux professionnels de prendre les bonnes décisions sur les modes constructifs en intégrant  les coûts d'exploitation des logements, qui représentent grosso modo pour 75 % du coût global sur leur cycle de vie. L'enjeu est donc très important.

Nous avons mis en place, avec l'UNTEC qui est l'union nationale des économistes de la construction, un outil permettant d'étudier le coût global d'un projet dans le cadre de la certification, ainsi que des formations pour les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'œuvre. Par ailleurs, nous finalisons une étude visant à comparer le coût global des logements certifiés vs des logements non certifiés ….

Quel rôle jouent les données dans l'activité de Qualitel ? 

Forcément, avec 6 000 à 10 000 maisons et 3 000 immeubles collectifs, soit 150 000 logements certifiés chaque année, nous collectons beaucoup de données. Au total, ce sont 3,5 millions de logements qui ont été certifiés depuis la création de Qualitel. Cela forme une base unique par son volume, sa profondeur historique et l'appréciation multi-critères de la qualité des logements. Nous sommes en train de l'enrichir grâce à notre outil Bilan Patrimoine Habitat, qui est comme une radiographie du bâtiment dans le cadre de la certification de projets de rénovation.

Qualitel dispose d’une direction de la stratégie numérique, des projets et systèmes d'information : elle comporte un pole data dédié à l'exploitation des données. Ces données nous permettent à la fois de pouvoir dire aux clients comment ils se situent par rapport à l'ensemble des certifications menées, et de faire émerger des tendances. Nous avons aussi développé des outils qui facilitent l’accès à la certification, pour l'analyse des sites ou pour la maîtrise des charges par exemple, et qui pour partie "aspirent" des données publiques complémentaires des nôtres. 

Nous restons très vigilants en ce qui concerne la propriété et la confidentialité des données issues de la certification. Nous ne commercialisons donc pas ces données mais en faisons profiter collectivement les professionnels. Cette approche est bien sûr en ligne avec notre mission, qui est de servir le particulier en contribuant à lui apporter des logements de qualité.


1] Réglementation environnementale 2020

Propos recueillis par Denis Tudoux et Jeanne Bazard

©Aissa Daoudi - Unsplash

Réagissez