Territoires : quels logements construire et combien ?

Quatre études récentes réalisées par ADEQUATION montrent que la filière résidentielle serait plus efficace si ses acteurs objectivaient ensemble les besoins en logements. Interview de Nolwenn Malherbe et Hélène Boreau. 

Équipe ADEQUATION

Publié le 09/10/2021

 

À cette question clé, les opérateurs immobiliers, les collectivités et les services de l'État n'apportent pas spontanément les mêmes réponses. La filière résidentielle serait pourtant plus efficace s'ils parvenaient à objectiver ensemble les besoins de chaque territoire. C'est ce que veulent montrer quatre études récentes d'ADEQUATION à Bordeaux Métropole et en Normandie. Nolwenn Malherbe et Hélène Boreau, consultantes chargées respectivement de ces études, en parlent.

Quelle était la demande à l’origine de ces études ?

Nolwenn Malherbe. De manière assez atypique, ce sont les directions de la FPI en Gironde et en Normandie –  avec, dans le cas de Bordeaux Métropole, la FFB, l'Ordre des architectes et l'Unam – qui souhaitaient objectiver les besoins en logements sur leur territoire, mais aussi partager cette analyse avec les collectivités. Il fallait donc s'assurer que ces dernières ainsi que les services déconcentrés de l'État soient entendus, valident les données et soient d'accord avec la méthodologie employée. Nous avons apporté beaucoup de soin à cela.

Hélène Boreau. Et ce soin a été salué par les acteurs privés comme par les acteurs publics, qui ont tous appris à cette occasion à regarder différemment la notion de besoin en logements. Les opérateurs se sont saisis d'un sujet et d'une échelle d'étude habituellement réservés aux acteurs publics. Quant aux collectivités, si les données statistiques de ces études leur sont familières, c'est la manière dont nous les faisons parler qui les a intéressées, d'autant plus que nous avons pu répondre à des interrogations très spécifiques.

Quelles sont ces interrogations spécifiques ?

HB.  En Normandie, les trois pôles urbains que nous avons étudiés présentent des enjeux très différents. À Caen, une question centrale était de savoir si la production soutenue de logements neufs, portée à plus de 75 % par des produits investisseurs, était souhaitable et durable. Nous avons pu montrer qu'elle correspondait à un besoin réel, lié au dynamisme de la ville. Sur la métropole de Rouen, où le maintien des ménages familiaux était considéré a priori comme un enjeu fort, l’étude a confirmé le départ de ces ménages vers des communes limitrophes et ainsi mis en évidence d’autres enjeux liés à l’aménagement du territoire. Enfin, pour la communauté d’agglomération Seine-Eure, nous avons cherché à analyser une demande très hétérogène du fait de sa situation entre l'Ile-de-France et Rouen.

Que peut-on dire de la méthodologie de ces études ?   

NM.  Nous avons élaboré une méthodologie facile à mettre en œuvre et à reproduire, à partir de travaux du CEREMA et de ratios couramment utilisés dans les diagnostics des PLH. Elle permet de dessiner des scenarii de développement dans lesquels différents enjeux se croisent et se répondent : l’accueil de nouvelles populations, le maintien des habitants et notamment des familles, l’accompagnement de la croissance économique via l’offre dédiée aux étudiants et aux actifs, le retour des seniors. L’important n’est pas la précision du nombre mais la possibilité de mettre en débat, sur des bases objectives, la stratégie de peuplement.

Comment construisez-vous ces scenarii ?

NM.  Nous commençons par une étude très fouillée – près de 200 pages très illustrées – qui explore les dynamiques démographiques et la production de logements sur tous les segments de marché, mais aussi le parc existant, les parcours résidentiels et les modes d'habiter, qui sont vraiment essentiels pour comprendre les besoins réels des ménages. Nous en déduisons les volumes souhaitables de logements à produire pour répondre à cinq objectifs : accueillir de nouveaux ménages, garder ceux qui sont déjà là, anticiper leur desserrement (décohabitation, divorce, veuvage…), gérer la vacance et le parc de résidences secondaires, et enfin renouveler le parc existant. Nous ne donnons pas de chiffres précis, ce sont des fourchettes. Ce sera à la collectivité de placer le curseur au bon endroit en fonction des enjeux et de l'importance qu'elle attache à chaque objectif. Mais, pour être réaliste, le scénario doit aussi tenir compte de trois grandes contraintes. Il faut en effet mettre les hypothèses de production en adéquation avec les disponibilités foncières, intégrer les obligations en matière de logement social et, enfin, veiller à ce que l'offre permette la mobilité résidentielle des ménages.

HB. Les objectifs sont interdépendants. Par exemple, la remise sur le marché de logements vacants peut, d’une part, contribuer à la production de logements sociaux s’ils sont rénovés sous condition ANAH, d’autre part, en libre, faire revenir des étudiants dans le centre ancien et alléger la pression sur les résidences-services dédiées. Notre méthode, avec son système de curseurs, invite clairement les parties prenantes à s'interroger sur la stratégie à retenir en raisonnant de manière systémique. On tombe quand même assez vite sur cette alternative : soit la priorité est d'accueillir de nouveaux habitants, soit elle est de garder ceux qui sont déjà là. Les besoins de logements correspondants sont assez différents en termes de taille, de service, de localisation, de statut. Cela étant, dans tous les cas, il faut toujours fortement soutenir l'accession sociale si l'on veut rendre les parcours résidentiels fluides.

Où et quand est-il utile d'étudier les besoins en logements de cette manière ?

NM. En amont de l'élaboration des PLH, même s'il ne faut surtout pas confondre ce type d'études avec le volet diagnostic du PLH. Nous ne cherchons pas à remplir les cases prévues dans ce document réglementaire, mais à aider les parties prenantes à comprendre les besoins et à anticiper l'impact des choix politiques touchant au logement. Encore une fois, les collectivités ont le choix entre plusieurs stratégies possibles et le PLH n'est qu'un outil.

HB. D'ailleurs, lors des échanges entre les parties prenantes de nos études, les volumes n'étaient quasiment pas débattus, la question centrale était "Qu'est-ce qu'on construit ?".

NM. En fait, la question du logement est clé dans toute stratégie d'aménagement du territoire comme dans toute politique du "vivre ensemble", et ce quelle qu'en soit l'échelle. Notre méthode permet d'étudier toutes les problématiques auxquelles doivent répondre les différents territoires : la pression de la demande dans les métropoles et leur desserrement périphérique, la rareté foncière et la part élevée de résidences secondaires sur le littoral, le déclin des centres dans les villes moyennes…

HB. Ce type d’étude a pu révéler des "effets de bords" importants entre les territoires, qui invitent à appréhender les besoins à l’échelle du bassin de vie ou de l’aire urbaine ; cela permet de réfléchir à des stratégies de développement résidentiel complémentaires plutôt que concurrentes entre territoires voisins.


Nolwenn Malherbe est directrice régionale Nouvelle-Aquitaine
Hélène Boreau est consultante senior Ile-de-France et Normandie

Propos recueillis par Jeanne Bazard

© picjumbocom-Pexels

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