Pour une politique de l’habitat en prise sur les réalités locales

La production de logements souffre en partie d’une planification publique inappropriée à l’échelon local.

Bruno Mirande, Cogérant de Guy Taïeb Conseil et Simon Goudiard, Directeur du développement France d'ADEQUATION, plaident pour une approche plus fine, plus différenciée et plus opérationnelle.

Simon Goudiard

Publié le 27/01/2021

 

La politique du logement en France mobilise un arsenal de règlements, de mesures fiscales et d’aides visant à équilibrer la production de logements neufs. Il structure largement les politiques locales et sert de cadre à la contractualisation d’objectifs avec l’État.

La nécessité d’un cadre national est incontestable. Mais sa forme et son administration tendent à imposer des concepts qui reflètent mal la réalité et simplifient à l’excès la réflexion programmatique dans les territoires.

S’y ajoutent de multiples œillères, qui occultent la complexité de l’aménagement du territoire, ainsi qu’une relative méconnaissance du fonctionnement des marchés et des contraintes opérationnelles entourant la production immobilière.

Quand les biais intellectuels stérilisent la réflexion

Raisonnements binaires

Marchés tendus / détendus.

La notion de tension des marchés, qui détermine plusieurs dispositifs à travers le zonage du territoire national, a largement montré ses limites. Les marchés tendus des métropoles le restent malgré les efforts de construction. Inversement, les marchés détendus des villes moyennes n’empêchent pas le mal-logement. Les secteurs dits tendus ou détendus englobent en outre des situations très hétérogènes.

Logement libre / social.

Autre exemple de raisonnement binaire, il n’est pas rare de voir des politiques locales fondées uniquement sur le couple logement social / logement libre, ignorant ainsi les très nombreux ménages exclus de ces catégories, leurs revenus n’étant pas assez bas ou pas assez élevés. S’ils sont encore insuffisants, des dispositifs existent pourtant pour répondre à leurs besoins (montages dissociants, accession sociale, BRS, locatif intermédiaire et bien d’autres). Sans parler des clientèles des séniors ou des étudiants pour lesquels des produits spécifiques doivent être étudiés.

Arithmétique simpliste

Confusion demande / besoin.

Une confusion très répandue, entretenue par la logique du zonage, consiste à assimiler le besoin de logements au déséquilibre entre l’offre et la demande. Or le mal logement ou l’évolution de la composition des ménages déjà logés ne s’expriment pas nécessairement, ou pas en temps réel, sur le marché. Complexe à appréhender, le besoin véritable est souvent absent de la réflexion alors qu’il est le seul pertinent pour programmer l’offre adéquate. 

Mirage de la mobilisation du stock.

La capacité du parc ancien à répondre aux besoins doit être étudiée de manière approfondie. Une abondance de logements vacants peut être le signe d’une demande faible ou, plus probablement, de logements inadaptés en taille, confort, prix ou situation. Quand elle a lieu, la restructuration des logements peut résulter de politiques publiques et d’incitations fiscales, ou au contraire d’une dérégulation du marché (marchands de sommeil, vente de bien à la découpe par des investisseurs).

On voit ainsi que l’arithmétique est complexe. Or les acteurs publics comme privés ont tendance à ignorer l’évolution des besoins de la population en place, déjà logée. La programmation se base alors sur une appréciation des flux générés par l’attractivité du territoire, complétée d’une extrapolation de l’activité immobilière antérieure. Il y a donc une part d’arbitraire et de “reproduction du même”.

Pièges politiques

Par sa complexité, la question du logement tend de nombreux pièges aux acteurs politiques qui méconnaissent la logique implacablement systémique de l’immobilier. 

Volontarisme.

Certains élus croient pouvoir augmenter l’attractivité de leur ville en créant massivement des logements, ambition exprimée dans les objectifs quantitatifs des programmes locaux de l’habitat. Sans nouveaux emplois, sans réserves foncières disponibles et sans opérateurs immobiliers, c’est un échec assuré. L’effet d'annonce sera contre-productif car il installera l’image d’un marché inexistant, décourageant les aides de l’État et l’intérêt des opérateurs, quand bien même des besoins existent forcément.

Malthusianisme.

D’autres au contraire vont chercher à stopper la croissance résidentielle, pour des raisons qui leur paraissent rationnelles. Par exemple pour attendre l’arrivée des emplois. Mais les entreprises sont réticentes à s’installer là où le marché du logement est tendu car elles ont besoin de faire venir leurs salariés immédiatement. D’autres raisons peuvent être environnementales, quand les élus préfèrent réserver le foncier à des espaces verts ou engager une dédensification des projets urbains en portefeuille. Dans les secteurs détendus, l’injonction peut être d’arrêter de construire, par exemple pour que les logements vacants soient réinvestis, alors que ces territoires ont besoin d’une offre qui constitue une ressource pour leurs ménages. Dans tous les cas, si les besoins existent, ils iront se satisfaire aux franges de l’agglomération, ou sur place dans une offre de médiocre qualité, générant des externalités négatives bien pires (sols, transports, précarité énergétique, indignité). 

Casser le moule pour se donner les moyens d’agir

Ces différents biais sont largement hérités d’une conception trop planificatrice, trop centralisée et trop administrative de la programmation résidentielle. Pour en sortir, il faut aller vers plus de liberté et plus de pragmatisme, introduire à la réflexion une forme d’intelligence opérationnelle.

Menée dans l’esprit du code de la construction et de l’habitat, l’élaboration des programmes locaux de l’habitat part souvent d’objectifs quantitatifs de production pour en déduire les capacités foncières, les opérations de renouvellement urbain et les ressources financières à mobiliser. Ces objectifs sont contractualisés avec l’État et servent à l’allocation de financements.

Hors sol.

Cette approche suggère que, en tout point du territoire, en première couronne parisienne comme à Angoulême, il suffirait de fixer un objectif de résultat et d’allouer des “matières premières” pour que la production se développe suivant la même mécanique quasi-industrielle. Elle laisse alors de côté un pan entier de la réflexion, résumé par cette question : les conditions de réalisation sont-elles bien réunies localement ?

Des objectifs de moyens plutôt que de résultats

Bien souvent ce n’est pas le cas, et elles sont longues et complexes à mettre en place. Il serait donc plus judicieux que chaque territoire se fixe d’abord des objectifs de moyens, en regard de grandes orientations stratégiques hiérarchisées suivant ses priorités : détendre le marché, remédier au mal logement, équilibrer le peuplement sur le territoire, accompagner le développement économique, etc.

Dans certains cas, ces moyens seront principalement des réserves foncières. Ailleurs, il s’agira plutôt de mettre en mouvement un système d’acteurs, d’acquérir des compétences en ingénierie de projet ou encore d’organiser une concertation sur un projet structurant.

Ce sont ces objectifs de moyens qui devraient servir de base de contractualisation avec l’État, puis être évalués. Une obligation de moyens reviendrait à donner plus de responsabilité aux territoires, devenus libres d’adopter une stratégie d’action adaptée à leur situation particulière. 

Le facteur temps bien compris

Arrêtons-nous sur un sujet qui fait à sa manière partie des moyens et revêt une importance stratégique : le temps. On ne parle pas d’un simple échelonnement des livraisons de logements sur la durée d’un PLH, mais d’un enjeu plus fondamental, qui consiste à maîtriser les équilibres de développement du territoire.

Temps de l’action foncière.

Le temps est ainsi central dans l’action foncière. Le cycle de production des capacités foncières étant significativement plus long que celui de la production immobilière, la constitution de réserves doit être lancée avec l’anticipation adéquate. Les conséquences d’un manque de foncier peuvent être très dommageables. Il fait subir à la promotion immobilière des fluctuations qui dérèglent le marché ; il entraîne un report de la demande sur des secteurs où l’offre est plus abondante, en périphérie, avec les coûts environnementaux, urbains et financiers que l’on sait.

Temps de l’aménagement du territoire.

Il est par ailleurs crucial d’équilibrer développement résidentiel et développement économique, sur le temps long. L’enjeu est de maintenir un bon équilibre entre population et emploi, sachant qu’un manque de logements pénalisera l’emploi, y compris dans l’économie résidentielle (commerces, services aux particuliers), et qu’un déséquilibre peut être très long à corriger.

Gestion des flux.

D’une manière générale, il est préférable d’alimenter le marché à flux constant et diversifié, plutôt que de livrer des volumes importants de logements par à-coups. Enfin, il est important que la stratégie soit suffisamment souple pour adapter les projets à la conjoncture et accueillir des opportunités.

Des projets et de l’expérimentation

Pour rester sur le terrain du pragmatisme, quand l’échelle du territoire s’y prête, il est judicieux de programmer la construction de logements au travers de projets ou de potentialités identifiés et non pas de manière globale. On peut ainsi tester le réalisme des objectifs, intégrer un phasage, comparer des scénarios de positionnement. La stratégie devient aussi beaucoup plus concrète, ce qui facilite grandement sa mise en œuvre.

Initiatives.

La programmation par projets est aussi très efficace pour expérimenter des solutions innovantes, à l’initiative de la collectivité, en vue de répondre à des besoins précis ou de saisir des opportunités.

C’est le cas par exemple des divers montages dissociant la nue-propriété de l’usufruit, ou encore de l’habitat participatif. D’une manière générale, ces projets expérimentaux impliqueront de dépasser la classique vente de foncier à un opérateur immobilier, pour nouer des partenariats avec d’autres acteurs économiques, ou avec des propriétaires de fonciers pouvant faire l’objet d’un réemploi atypique. Ils mobiliseront une ingénierie de projet particulière, pour “recruter” les partenaires de l’opération (investisseurs, exploitants de résidences gérées, futurs acquéreurs des logements…) et organiser le partage du projet.

En cherchant à rationaliser la programmation sur le territoire national, la politique nationale, avec ses concepts et ses procédures, tend à niveler les politiques locales sur une pensée unique, simplificatrice, parfois contreproductive, et déresponsabilisante. 

À l’inverse, une plus grande liberté accordée aux territoires dans le choix des moyens d’action rendrait les élus plus responsables, les inciterait à élever leur niveau de compétence et permettrait d’élaborer des stratégies plus contextuelles et plus efficientes.


© Aleyna Rentz - Unsplash

Hubault jeu, 04/29/2021 - 17:27

Le bail réel et solidaire est à mon avis à réaliser dans les zones tendues afin d’éviter la spéculation et permettre à une catégorie à revenu moyend’habiter dans les villes et éviter l’éparpillement dans les campagne ,double voitures ,transport scolaire compliqué pour les enfants , frais supplémentaires

Slummanaljeu, 07/04/2024 - 05:25

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