Anti-spéculation : Rennes métropole veut faire du sol un bien commun

Le relèvement des plafonds du BRS a coïncidé avec l’adoption du nouveau PLH 2023-2028 de Rennes Métropole, qui s’est rapidement emparée de cette opportunité. Nous en parlons avec Nathalie Demeslay, directrice de l’Habitat de Rennes Métropole, et Christophe Blot, responsable de la Mission PLH.

Dans le contexte du nouveau PLH, que faut-il entendre par « faire du sol un bien commun » ?

Portrait Nathalie Demeslay

Nathalie DemeslayIl faut y voir la volonté d’empêcher la spéculation. Acheter un logement doit servir à se loger, et non pas à réaliser à terme une plus-value, qui rendra le logement de moins en moins accessible aux acquéreurs successifs. La dissociation permet de conserver le foncier dans le giron public et d’éviter cette spéculation. Le BRS est un bon outil dans ce sens, mais il n’est ouvert, du moins il ne l’était avant le relèvement des plafonds, qu’aux ménages modestes.

Étendre le mécanisme de dissociation à d’autres clientèles permet de favoriser l’accession à la propriété d’un plus grand nombre de ménages, mais aussi de neutraliser plus largement la spéculation : il n’y a pas de raison de réserver cet encadrement de plus-value à la seule clientèle de l’accession sociale. Ce principe d’égalité est pour nous très important.

Par ailleurs, dans la métropole rennaise, les deux tiers environ des logements neufs sont produits dans le cadre d’opérations d’aménagement. Ils bénéficient ainsi d'un investissement important de la collectivité. Or c’est bien cet investissement qui leur confère leur valeur, et il est donc anormal qu’elle puisse être captée par quelques propriétaires privés. 

Le relèvement des plafonds du BRS a donc constitué une opportunité ? 

ND. L'élévation des plafonds du BRS introduite par la loi de finances pour 2024 nous permet maintenant de faire justement ce que nous souhaitions. En zone B1[1], ce relèvement est très important : par exemple pour les ménages composés de 5 personnes, le plafond de revenu peut atteindre presque deux fois ce qu'il était avant la loi de finances ! Cela permet de couvrir une grande partie des ménages accédants. Notre première réaction a été de nous dire que les ménages disposant des plus petits revenus risquaient d'être de facto évincés du BRS puisque moins facilement finançables dans le contexte de hausse des taux

Nous avons donc sanctuarisé à leur intention le même volume de logements en BRS : 15 % de la production totale du PLH 2023-2028, soit un objectif d'environ 750 logements /an, au prix plafonné à 2.800 € TTC /m² SHAB (voire 2.400 € pour le dispositif Maison + Jardin aidé développé sur les communes B2 et C) stationnement compris. Puis nous avons défini plusieurs catégories d'accession, pour les ménages aux revenus modestes jusqu’aux revenus intermédiaires.

Portrait Christophe Blot

Christophe Blot. Il faut préciser que, avant cette généralisation du BRS, nous avions conçu, avec l’aide d’ADEQUATION et de manière concertée avec les opérateurs immobiliers, des produits en accession régulée à des prix accessibles aux ménages de chaque décile de revenus, du 3e au 8e environ, les autres déciles n’étant pas vraiment concernés. 

Par exemple, pour les ménages aux revenus supérieurs aux plafonds du BRS, nous avions imaginé un montage dissociant original : le bail à construction à sortie inversée[2].

Mais nous n’allons finalement pas le mettre en œuvre, et plutôt généraliser le BRS, qui est plus efficient en terme de politique publique car il permet :

  • au foncier de devenir durablement un bien commun : le logement reste perpétuellement abordable et anti-spéculatif pour des générations de propriétaires occupants via l'encadrement des reventes par le bail réel solidaire ;
  • une plus forte solvabilisation des ménages par un accès au prêt à taux zéro spécifique au BRS ;
  • une forte sécurisation des accédants à la propriété : garantie de rachat ;
  • une baisse mécanique des prix permise par une TVA plus avantageuse.

Le PLH prévoit la construction de 5.000 logements par an, dont combien en accession avec montage dissociant et combien en libre ? 

ND. Environ 1.500 à 1.700 minimum en BRS et environ 1.000 en libre. Pour le BRS, c’est un objectif, mais nous n’avons toutefois pas de certitudes. Nous ne savons pas comment le ménage qui a le choix, celui qui n’est pas captif du BRS, réagira. Pour ma part, je pense que le modèle spéculatif appartient au passé car les prix ne pourront pas continuer à monter indéfiniment. Nous devons susciter un changement de regard sur le logement, revenir à quelque chose qui ressemble au livret A : on ne gagne pas beaucoup, mais on ne perd pas. Bloquer les prix de vente, se porter garant du rachat sans décote, c’est ce que nous, collectivité, pouvons faire de mieux pour rassurer les acquéreurs. 

Toutes les communes de la métropole sont-elles concernées par le BRS ?

CB. Au départ (en 2018), nous avons réservé le périmètre d'intervention de l'OFS aux communes du cœur de la métropole et celles de plus de 10.000 habitants (soit 8 communes), où le marché connaissait une tension très forte et où nous savions trouver des ménages pour le BRS. Cela a très bien fonctionné. Le nouveau PLH a été l’occasion d’élargir le périmètre de l’OFS aux 31 communes SRU[3]. Puis, avec le relèvement des plafonds, nous l’avons même étendu aux 43 communes puisqu’il devenait possible d’utiliser le BRS pour certains produits réservés aux communes de 2e couronne, comme la « maison + jardin ». Finalement c’est donc l’ensemble des communes de la métropole qui pourront bénéficier de l’intervention de l’OFS, selon les types de produit.

Illustration - Schéma BRS Rennes Métropole
Schéma BRS Rennes Métropole

Explication. En collectif, le BRS se déploie dans les zones tendues, à des niveaux de prix permettant de faire jouer des péréquations, avec le libre ou entre les BRS 1 et 3. Le mix « BRS 1 + BRS 3 » concerne les 31 communes SRU. Les maisons + jardin sont réservées aux communes « pôles » et « pôles de proximité ». 
Au total, il est prévu au moins trois logements dissociés pour deux libres. 

Il est intéressant de voir que les constructeurs de maisons individuelles sont parties prenantes de ce déploiement de la dissociation foncière.

CB. Avec la fin du PTZ sur les logements individuels, ils savent qu’ils jouent leur survie et sont tout à fait prêts à coopérer. C’est important car il y a encore des communes rurales dans la métropole, on ne peut pas arrêter totalement la construction de formes urbaines plus adaptées à leur contexte, afin de rester cohérent avec leur marché, mais sur de petits terrains et dans le respect de la trajectoire ZAN. Comme ces logements individuels se font rares, ils deviennent très spéculatifs, et la dissociation va nous permettre de les garder abordables

La communication du PLH parle de dissociation foncière systématique sur les fonciers publics. N’est-ce pas un peu plus large que cela ?

CB. Cette dissociation foncière s’appliquera dans les opérations d’aménagement qui, comme nous l’avons dit, comptent pour beaucoup dans cette production. En dehors de ces périmètres, les opérateurs immobiliers passeront aussi presque toujours par la collectivité, soit parce que nous maîtrisons une partie du foncier[4], soit parce que le PLUI impose une programmation en BRS sur certains secteurs qui se densifient majoritairement par l'initiative privée, soit enfin parce que la convention de contractualisation du PLH signée avec la commune impose une programmation de BRS.

Le PLH est donc suffisamment prescriptif pour imposer du BRS sur un terrain privé dans le diffus ?

CB. La contractualisation du PLH est déclinée au niveau de toutes les opérations d’aménagement, mais aussi au niveau des permis de construire visant plus de 15 ou 30 logements suivant les types de communes, et même dès 5 logements sur la Ville de Rennes, ce qui inclut donc le diffus. En moyenne, tous types de BRS confondus, la programmation comportera 30 % de BRS, sachant que cela varie de 0 % à 50 % suivant les opérations.

ND. Il faut bien comprendre que ce qui ressemble à des règles un peu complexes procède en réalité d’une contextualisation très fine du PLH, pour adapter les objectifs aux caractéristiques des communes. 

Rennes Métropole dispose aussi d’un organisme foncier solidaire très actif. Comment finance-t-il ses acquisitions ?

CB. Créé dès 2018, notre OFS est composé de Rennes Métropole ainsi que de notre aménageur, Territoires, et de tous les producteurs de l'accession sociale du territoire C’est un relativement petit nombre d’acteurs, ce qui facilite le dialogue. L’OFS a ainsi déjà livré 400 logements et environ 1.000 autres sont déjà en programmation. 

Le statut associatif de l’OFS et sa gouvernance par la collectivité permettent un montage particulier dans lequel l'acquisition foncière se fait indirectement via le bilan immobilier. L’aménageur cède le foncier à l’OFS qui cède à son tour un bail réel initial (bail à construction) au maître d’ouvrage. 

Le poids du foncier est ensuite répercuté sur le prix de vente des BRS. Les prix des baux réels, initial et final, sont administrés par le PLH pour garantir in fine la solvabilité des ménages concernés.

Ce montage original permet de s'exonérer du recours à l'emprunt. C'est la raison pour laquelle la redevance de FSRM est la plus faible de France : 0,15 € /m² et par mois pour couvrir les frais de gestion et les éventuels temps de "frottage" qui peuvent générer de légers frais financiers.

Illustration - Schéma acquisition et financement du foncier par FSRM
Schéma acquisition et financement du foncier par FSRM

Comment définissez-vous les prix des différents produits en BRS ? 

CB. Nous ne perdons jamais de vue que nous avons des populations à loger et que les prix doivent être adaptés à leurs revenus. Chaque BRS a donc un prix qui correspond à la solvabilité d'un ménage cible, l'objectif étant de couvrir l'ensemble des besoins d'accession des ménages aux revenus modestes et intermédiaires. Or les conditions peuvent évoluer, c’est pourquoi d’une part nous suivons la commercialisation de près avec les opérateurs immobiliers, d’autre part nous avons conçu les fiches produits comme des annexes du PLH, ce qui nous permet de les faire évoluer au moyen d’une simple délibération, pour les adapter au marché. Cela nous donne beaucoup de souplesse : nous avons adopté les nouvelles fiches produits en BRS dès mars 2024, soit trois mois seulement après le vote de la loi de finances, sans changer la philosophie du PLH. 


[1] La ville de Rennes est passée en zone A, au lendemain de l’interview (arrêté ministériel du 5 juillet 2024), ce qui améliore la solvabilité des ménages par le relèvement des plafonds du PTZ.

[2] Bail à construction à sortie inversée : le maître d’ouvrage achète un droit à construire, le terrain reste propriété de la collectivité. Le prix de ce droit est équivalent au prix de la charge foncière. Son paiement est assimilé à un loyer payé d’avance pour 20 à 25 ans, aucune redevance n’est donc due. À l’issue du bail, si les transactions successives ont bien respecté la clause anti-spéculative du contrat, le foncier et le bâti sont réassociés.

[3] Communes de plus de 3.500 habitants soumises à l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU)

[4] La politique rennaise d’acquisition foncière est ancienne. Aujourd’hui, une enveloppe de plus de 12 M€ par an sert à acheter des fonciers stratégiques dans les secteurs ouverts à l’urbanisation.

Propos recueillis par Denis Tudoux et Jeanne Bazard.

© Pexels- Any Lane

Réagissez