Quel est le rôle de l’État de Genève[1] dans l’aménagement du territoire en matière de foncier ?
Raphaelle Vavassori. Un plan directeur cantonal, non opposable aux tiers, fixe un cadre de planification, aujourd'hui à l'horizon 2030, mais nous allons bientôt le réviser à l'horizon 2050[2]. Ce plan définit les grands enjeux territoriaux ainsi que les principaux secteurs dédiés au logement, aux activités industrielles et aux équipements notamment. Le prochain plan tiendra compte des évolutions démographiques mais aussi de nouveaux paramètres tels que la nécessité de mieux prendre en compte la biodiversité, les terres agricoles, la densification des parcelles vers l’intérieur…
Comment les questions foncières liées au logement sont elles traitées ?
RV. Les communes se réfèrent au plan cantonal pour élaborer leurs propres plans directeurs communaux, qui devront être approuvés par le Conseil d'État (gouvernement du canton) et qui sont eux opposables aux tiers. À l'échelon inférieur, les communes peuvent élaborer des plans d'affectation spéciaux, dont les plans localisés de quartier, également opposables aux tiers.
Trois types de zones permettent d’accueillir des logements, schématiquement des zones dites de villas, des zones ordinaires et des zones de développement. L’État n’intervient pas ou peu du point de vue foncier dans les zones de villas et les zones ordinaires. Les zones de développement sont particulières en ce sens que l'État peut intervenir et contrôle les transactions, même si la grande majorité (on en recense environ 160 par an) ne font pas l’objet d’une intervention.
Quel contrôle l’État exerce-t-il dans les zones de développement ?
Thomas Sablé. Il veille au respect des prix du terrain et des prix de sortie des immeubles réalisés en conformité des pratiques et du cadre légal. Exceptionnellement, l'État peut exercer son droit de préemption s'il estime que le prix est excessif ou qu'une famille s'installe dans une zone vouée au développement. Il se réfère à la pratique administrative, publiée sur internet. L’État veille à la qualité des constructions et de la qualité de vie des quartiers.
RV. Le classement en zone de développement vise à anticiper et faciliter la mutation urbaine en encourageant la densification et en décourageant les transactions susceptibles de créer à terme de la dureté foncière : par exemple un particulier qui souhaite s’installer dans une maison sur le long terme sans intention de développer un projet immobilier. La première couronne suburbaine du centre-ville Genève, notamment est classée en zone de développement depuis 1957.
En quoi la zone de développement encourage-t-elle la densification ?
TS. La zone de développement permet à l’État d’intervenir dans les projets une fois adopté un plan localisé de quartier (PLQ). Un PLQ est un peu l'équivalent d'une orientation d'aménagement et de programmation (OAP) dans un PLU français, mais, surtout, il octroie des droits à construire à chaque propriétaire foncier du périmètre. Ces droits favorisent la densification. Il existe à cet égard tout un arsenal d'outils fonciers et légaux qui favorisent la réalisation de logements collectifs en zone de développement, notamment en permettant une disponibilité foncière et en encourageant la mutation des terrains en vue de leur densification.
Quel est le rôle de votre direction ?
RV. Notre direction de la planification et des opérations foncières (DPOF), fort d’une vingtaine de collaborateurs acquiert, maîtrise et valorise le foncier nécessaire pour les politiques publiques de l’État de Genève. Ce foncier est destiné à des infrastructures, des équipements publics ou des bâtiments utiles au développement urbain, qu’il s’agisse d’immobilier d'activités ou résidentiel (logements collectifs). Notre rôle est de valoriser au mieux ce patrimoine, tout en le dédiant en priorité aux opérations qui vont dans le sens des politiques publiques.
TS. L’État s’appuie aussi sur sa filiale la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l'habitat coopératif (FPLC) pour acheter du foncier et le mettre à la disposition de coopératives ou de fondations immobilières, qui vont créer des logements d’utilité publique (LUP). S'agissant des activités dans les zones industrielles et artisanales, c'est la fondation pour les terrains industriels de Genève qui est en charge de ce domaine.
Qu’entendez-vous par « mettre à la disposition » ?
TS. Les terrains restent la propriété de ces fondations ou de l’État, qui octroient des droits de superficie distincts et permanents à des utilisateurs : distincts parce qu’ils distinguent le foncier et le bâti et permanents parce qu’ils sont de très longue durée. On parle de DDP, c’est l’équivalent de l’emphytéose française. Cet outil permet de contrôler la mutation du foncier dans le sens prévu par la politique d’aménagement du territoire. Un exemple assez vertigineux est celui du secteur Praille-Acacias-Vernets dit « PAV ».
Périmètre du projet "Praille-Acacias-Vernet", déc 2022.
De quoi s’agit-il ?
RV. C’est une grande zone artisanale, commerciale et industrielle de 230 ha assise sur trois communes, destinée à devenir un nouveau cœur urbain du Grand Genève. La Fondation de droit public Praille-Acacias-Vernets a été créée par l’État de Genève en 2019 pour provoquer et organiser la mutation de 140 ha à l’horizon 2040[3].
D’une manière générale, que se passe-t-il à la fin du droit, au bout des 99 ans ?
RV. Généralement, le DPP peut être prolongé. En revanche, si l'État, en raison de projets d'aménagement, souhaite y mettre un terme, il doit alors indemniser le superficiaire des bâtiments que ce dernier a réalisés. Si le titulaire du DDP souhaite transférer son droit à un tiers, l’État, en tant que superficiant, peut s'opposer à la cession qui ne garantirait pas ses intentions en matière d'aménagement du territoire.
[1] Le Conseil d'Etat est le gouvernement du Canton de Genève.
[2] Le plan cantonal est élaboré dans le cadre législatif fourni par une loi fédérale d’aménagement du territoire dite LAT, qui fixe les grands principes de développement et les instruments qui doivent y concourir.
[3] Sa mission consiste en particulier à libérer les terrains du périmètre PAV dont elle est propriétaire notamment en rachetant les DDP aux industriels superficiaires actuels, puis à les valoriser en octroyant des DDP aux investisseurs privés et publics en conformité avec les programmes de logements et d’activités prévus par le grand projet d’aménagement/recyclage urbain.
Propos recueillis par Yann Gérard et Jeanne Bazard.
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