NPNRU : halte à la dangereuse politique du chiffre

L'équipe ADEQUATION

Publié le 21/05/2018

 

Le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) conditionne les aides de l’ANRU à un certain niveau « d’ambition ». Il s’agit notamment, dans les Quartiers Politique de la Ville (QPV) des collectivités candidates, de remplacer un maximum de logements sociaux, recréés ailleurs, par des logements libres produits par la promotion immobilière avec l’appui d’une TVA réduite. La diversification de l’offre de logements est censée favoriser une mixité sociale accrue dans les quartiers concernés.

Sauf que cela ne marche pas ainsi. S’aveugler en voulant le croire à tout prix ne fera qu’aggraver la situation. Conseillant nombre de collectivités sur la programmation de cette offre de « diversification », nous sommes bien placés pour les alerter sur les risques d’une telle « ambition ».

1. Une offre à bas prix de logements en accession ne suffit pas à attirer des investisseurs extérieurs au quartier

Seule une dynamique territoriale préexistante, liée par exemple à la situation ou à une nouvelle offre de transport, est de nature à compenser l’image négative d’un quartier en mutation. L’annonce d’un projet de renouvellement urbain ne suffit pas à le rendre attractif. Ainsi, dans la plupart des cas, les seuls ménages intéressés par l’accession à la propriété sont donc les plus aisés de ceux qui y habitent déjà. Leurs revenus sont situés entre une et deux fois le Smic, ce qui en fait habituellement des non-clients de la promotion immobilière.

2. Le NPNRU crée un marché artificiel, très risqué pour les acquéreurs et à plus long terme pour les collectivités

Pour répondre aux objectifs du NPNRU, il est techniquement possible, avec l’aide de la TVA à 5,5 %, de créer une offre accessible à ces ménages attirés par une promesse d’ascension sociale. Elle compense à leurs yeux la qualité très moyenne des logements – moins spacieux, moins bien finis et moins durables que des logements sociaux construits au même moment. Mais ces clients pour ainsi dire captifs n’ont pas conscience de l’étroitesse du “marché” sur lequel ils pourraient vouloir, un jour, revendre leur bien.

3. Les acquéreurs sont les premiers perdants du système

Avant les déconvenues de la revente, les primo-accédants découvrent celles du statut de propriétaire. Leur budget logement, qui était de l’ordre de 25 % de leur revenus, bondit à 40 % pour intégrer les remboursements d’emprunt et les charges de copropriété. Ils sont à la merci du premier “accident de la vie” (chômage, divorce…). Collectivement, ils sont menacés du syndrome des copropriétés dégradées, qui abaissera encore la qualité de leur logement et le rendra potentiellement invendable, sauf  à très bas prix.

4. Les aides publiques contribuent à la paupérisation accrue du quartier

On voit ainsi comment les aides publiques (charges foncières bonifiées, fiscalité) peuvent contribuer, à l’envers des intentions, à la paupérisation du quartier. Au risque de dégradation rapide des copropriétés s’ajoutent les conséquences des démolitions. En effet, les offres de relogement des occupants du parc social démoli auront fait partir les ménages les plus mobiles, laissant sur place les populations les plus fragiles.

Un comble serait que le NPNRU, qui contrairement au programme précédent intègre la requalification des copropriétés dégradées, en crée de nouvelles.

Sous couvert de satisfaire l’aspiration de tous les Français à devenir propriétaire – supposition sujette à caution dont nous ne débattrons pas ici – l’Anru tend à s’enfermer dans une logique du chiffre : tant de logements sociaux en moins, tant de logements libres en plus.

Cette obsession la fait passer à côté de ce qui devrait être un objectif stratégique majeur : la (re)création d’un marché immobilier fluide.

Les solutions sont connues de la plupart des acteurs connectés aux réalités immobilières et urbaines :

  • adapter les réponses au contexte socio-économique et urbain de chaque quartier, y compris par des montages innovants hors promotion immobilière ;
  • agir sur les facteurs d’attractivité et d’image pour créer de la confiance avant de solliciter l’investissement privé ;
  • diversifier les formes urbaines et segmenter finement l’offre pour toucher le plus grand nombre possible de clients et faciliter les parcours résidentiels.

Nous ne doutons pas que notre avis soit partagé par la plupart de ceux, dont nous faisons bien malgré nous partie, qui ont une part de responsabilité dans la dérive que nous observons. Il n’est pas trop tard pour changer de cap.


Article co-rédigé par : Simon Goudiard (Directeur de l’agence de Paris – Associé), ADEQUATION & Laurent Bécard (Urbaniste Architecte – Directeur Grands Projets Urbains), Agence MAP

Paru dans Business Immo le le 15/05/2018

Réagissez