Pourquoi l’étude économique des opérations d’aménagement intervient-elle si souvent quand le projet est “ficelé”, obligeant à de douloureuses remises en cause ?
Il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, comme nous le rappellent régulièrement les formations à l’analyse économique que nous organisons auprès de responsables de projets urbains.
Nous commençons par présenter un projet apparemment bien sous tous rapports, sinon que la dernière diapositive de la présentation empruntée à l’urbaniste s’achève sur cette interrogation : comment assurer “l’équilibre du projet par les recettes” ? Nous dévoilons alors notre évaluation des recettes prévisionnelles : à la consternation générale, le résultat est un déficit d’opération parfaitement insupportable par la collectivité.
Ce qui est extraordinaire, c’est que nul, parmi les participants comme parmi les nombreux experts ayant eu à un moment ou à un autre à examiner ce projet d’éco-quartier primé dans un concours national, n’a vu la trappe béante dans laquelle il finirait par tomber. Personne n’a voulu voir ce qui crève pourtant les yeux : dans cette petite ville des environs de Dijon, il n’y a pas de marché pour les 50 maisons à 200 000 € prévues dans le projet.
Fin de l’histoire ? Pour ce projet devenu un cas d’école, hélas, oui. D’autres s’en sortent par une remise à plat du programme, donc de la forme urbaine initialement envisagée, pour l’adapter aux besoins du marché. Les dégâts sont plus ou moins élevés selon de degré d’avancement du projet au moment de la prise de conscience.
Comment expliquer un tel gâchis ?
Tout semble dit dans cette question conclusive : Comment assurer l’équilibre du projet par les recettes ?
Quand nous rappelons que les recettes ne sont pas autre chose que l’argent que les investisseurs ou les propriétaires occupants sont prêts à mettre sur la table pour se procurer un logement, tout le monde comprend qu’il vaut mieux faire une étude de marché avant de définir le projet. Non pour l’équilibrer, mais pour le justifier !
Mais pourquoi faut-il, face à des interlocuteurs dotés des meilleures capacités intellectuelles, déployer des trésors de pédagogie pour leur permettre de s’approprier un raisonnement de pur bon sens ?
La réponse est probablement dans une culture urbaine contemporaine qui pose le primat de la forme sur l’économie du projet.
Ramené à un dialogue trivial, mais hélas représentatif, cela donne :
– “La forme urbaine que nous avons choisie impose ce type de logements.
– Oui, mais le marché en impose d’autres : pas d’acheteur, pas de projet.
– Qu’est-ce qui nous empêche de cibler cette niche ?
– Il faudra vingt ans pour vendre ces maisons, ça suffit à rendre l’opération irréalisable.
– Chez nous il n’y a que les grandes maisons qui se vendent.
– Normal, il n’y a pas d’offre alternative. C’est pour cela que les jeunes ménages et les seniors vont voir ailleurs.”
Finalement, l’absence de culture économique des acteurs ne fait pas que “planter” les projets. Elle rend aussi aveugle aux opportunités qu’offrent les marchés pour dynamiser les territoires.
Paru le 22 juin 2017 dans Business Immo, Rubrique Territoires
Point de vue de Laurent Escobar, directeur associé, Adéquation
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