Depuis septembre 2021, le calcul du taux d’effort désavantage les emprunteurs investisseurs

Préoccupée par l’assèchement du crédit immobilier, la Banque de France demande ces jours-ci aux réseaux bancaires de revoir un certain nombre de refus de crédit immobilier à des clients apparemment solvables. Cela n’est pas sans rapport avec le nouveau mode de calcul du taux d’effort, moins favorable aux emprunteurs investisseurs, instauré en septembre 2021.

Pierre Yves DESGOUTTE

Publié le 12/02/2024

 

Selon les chiffres dévoilés par la Banque de France vendredi 2 février 2024, la production de crédit immobilier hors renégociations a encore baissé, à 8,2 milliards d'euros en décembre. Sur l'année, elle s'établit ainsi à 129 milliards d'euros, soit une chute de 40 % par rapport à 2022.

Tous les indices concordent pour désigner le coupable idéal, à savoir la BCE et sa décision de porter les taux directeurs à 4 % le 14 septembre dernier après 9 hausses consécutives depuis juillet 2022. La cause est légitime puisqu’il s’agit de juguler une inflation à deux chiffres dans la zone Euro, mais les conséquences sont sans appel et le moteur du crédit est à l’arrêt ou presque depuis un an.

Pourtant ce serait aller vite en besogne que d’ignorer le rôle de la banque de France et de son organe régulateur qu’est le HCSF (Haut Conseil de stabilité financière). En effet, dans une décision en date du 29/09/2021, le HCSF a porté un coup sévère à la distribution du crédit.

Le HCSF et son rôle

Créé par la loi bancaire du 26 juillet 2013 le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier. En d’autres termes, c’est le « gendarme » du système bancaire dans sa capacité à assurer le financement de l’économie. Une de ses principales missions est de prévenir et atténuer une « expansion du crédit et un effet de levier excessifs ».

La décision du 29/09/2021 et sa portée pour les emprunteurs

Considérant que l’endettement des ménages était passé de 53,4 % du revenu disponible brut en 2001 à 100,9 % en 2021, le HCSF a décidé que les banques devraient respecter cumulativement un taux d’effort pour les emprunteurs limité à 35 % et une durée de crédit de 25 ans maximum. Une mince possibilité dérogatoire de 20 % des dossiers, essentiellement dans le cadre de l’accession est prévue.

Le HCSF a ainsi revu la méthode de calcul du taux d’effort jusqu’alors basée sur le « différentiel », les charges étant défalquées des revenus locatifs perçus. Désormais le calcul se fait en comptabilisant d’un côté tous les revenus des emprunteurs au dénominateur et de l’autre toutes les charges au numérateur.

Petite cause et grands effets puisqu’à dossier équivalent et en l’espace d’un mois, une demande parfaitement recevable était subitement hors champ de la nouvelle règle.

Exemple :

Soit un couple qui perçoit 60 000 euros net de salaires soit 5 000 euros par mois. Il possède un crédit sur la résidence principale de 1 300 euros par mois assurances comprises. Un crédit immobilier sur l’acquisition d’un T3 « Pinel » de 1 000 euros par mois. Un revenu locatif de 1 000 euros par mois.

  • Jusqu’au 29/09/2021

Total charges : 1 300 + (1 000 - 700) = 1 600, NB : Les revenus locatifs sont minorés de 30 %.

Total revenus : 5 000

Taux d’effort : 1 600 / 5 000 = 32 %

  • Depuis le 30/09/2021

Total charges : 1 300 + 1 000 = 2 300

Total revenus : 5 000 + 1 000 = 6 000

Taux d’effort : 2 300 / 6 000 = 38%

Ce nouveau calcul n’a pas ralenti la demande de crédit en valeur mais a contribué très rapidement à exclure les « multi emprunteurs » en recentrant l’effort sur la seule notion d’accession à la propriété, éliminant par là un certain nombre de dossiers de crédit et des investisseurs potentiels.

La moyenne des crédits habitat qui était jusqu’alors de 127 000 dossiers par mois est tombée dans les 12 mois suivants à 115 000 demandes, soit près de 10 % de baisse .

Vers une meilleure prise en compte du « reste à vivre » ?

Consciente et soucieuse de la chute de la production de crédit et de l’attitude rigoureuse des établissements de crédit, la Banque de France a demandé aux banques de réexaminer les dossiers recalés à condition que ce soit le même établissement qui se charge de ce travail de relecture et ce jusqu’à fin décembre 2024.

Il paraît sain que ce dispositif appliqué avec une certaine forme de rigorisme par les établissements prêteurs soit corrigé et amélioré, notamment au regard des possibilités dérogatoires qui ont été trop peu utilisées.

À ce titre un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023 (22-11.321) relance fort à propos le débat sur l’encadrement des prêts immobiliers en refusant de considérer comme excessif un crédit imposant un taux d’endettement de 65 %, du fait que le reste à vivre des emprunteurs était suffisant.

Les clients avaient attaqué la banque au motif que cette dernière avait accepté de délivrer un crédit immobilier en 2008 ( avant la création du HCSF) avec un endettement de 65 % mais un reste à vivre très confortable.

Cet arrêt non publié ne fait pas encore jurisprudence, mais donne une tendance claire en forme d’avertissement au HCSF en édictant le fait que le reste à vivre doit rester un critère « correcteur », qui joue « un rôle de rééquilibrage en présence d’un taux d’endettement de 40 % voire de 45 % ».


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