Ne laissons pas la crise du logement se transformer en crise de l’emploi

Trouver un emploi n’est pas toujours chose aisée. Recruter non plus. Les difficultés des actifs pour se loger ne sont pas étrangères à cette situation paradoxale. En théorie, sur un territoire donné, il faudrait que l’offre de logements et l’offre d’emplois s’adressent aux mêmes personnes. En pratique c’est loin d’être le cas, mais on peut tenter de s’en rapprocher.

Anais Cloteau

Publié le 12/02/2024

 

Les employeurs se plaignent de plus en plus de difficultés à recruter. Manque de formation, manque d’expérience, pénibilité du travail, horaire atypique… Les raisons sont nombreuses mais la question du logement reste cruciale. En témoigne la difficulté à recruter dans les emplois de service demandant relativement peu de qualifications. Le président de la République lui-même en a parlé dans son allocution du 16 janvier : « Dans les grandes villes, où cela coûte très cher de se loger, il est difficile à beaucoup d'infirmiers et d'infirmières, ou d'aides-soignants, d'habiter près de l’hôpital ».

Selon une enquête de la CPME , « près d’un recrutement sur cinq ne se fait pas en raison des difficultés pour se loger à proximité de l’emploi ». Une autre enquête réalisée par Harris Interactive pour l’agence immobilière en ligne IMOP en 2021  a montré que, pour les actifs, les critères les plus importants s’ils devaient acheter sont 1) la présence d’un espace extérieur et 2) selon l’âge des ménages, la proximité aux commerces et la proximité de leur lieu de travail et des écoles. Selon le média Capital, trois critères ressortent quand il s’agit de sélectionner une opportunité professionnelle : le salaire, la durée des trajets domicile-travail, la flexibilité. Des critères qui interrogent quand on voit au contraire ces trajets s’allonger sous la contrainte du coût du logement.

Trois exemples d’impossibilité de vivre près de son lieu de travail

Le monde économique se préoccupe aujourd’hui fortement de cette question. C’est ainsi que nous avons finement étudié le cas de 3 secteurs d’études dans les Alpes-Maritimes. 

Nice

Nice est caractéristique des communes touristiques, au prix de marché élevé : du locatif plutôt saisonnier réservé aux touristes, des produits en accession libre sur de petites typologies, dédiées à de l’investissement locatif, ou sur des formats spacieux, destinés à de la résidence secondaire. Pourtant, ces mêmes communes touristiques comptabilisent un nombre important d’emplois précaires et saisonniers comme ceux de la restauration, et ces travailleurs sont exclus de fait d’une partie importante du marché.

Pour rester sur le cas de l’infirmière, si elle travaille au CHU de Nice, elle devra débourser pour vivre dans un T3 de 55 m² dans le quartier Pasteur :

  • 500 €/mois charges comprises pour le parc locatif social (PLUS)
  • 700 €/mois charges comprises pour le parc locatif intermédiaire
  • 850 €/mois charges comprises pour le parc locatif libre, passant à 1 030 €/mois pour les logements les plus récents
  • À partir de 200 000 € pour acheter un appartement dans l’ancien
  • À partir de 250 000 € pour acheter un appartement en accession aidée
  • À partir de 300 000 € pour acheter un appartement en accession libre.

Gagnant 1 475 €/mois net en début de carrière, elle et son conjoint touchant le salaire mensuel médian niçois soit 1 610 € ne pourrons pas payer un loyer excédant 1 000 €/mois. Leur budget d’acquisition, bien que « boosté » par un emprunt à taux zéro sur 100 000 €, n’excèdera pas 220 000 €.

Avec 11 demandes de logements locatifs sociaux pour 1 attribution, le couple aura peu de chances d’accéder au parc locatif social. Dans le meilleur des cas, il trouvera un logement locatif intermédiaire mais les volumes d’offre sont encore restreints. Sinon, il se dirigera vers un logement ancien en locatif privé faute de pouvoir assumer le loyer d’un logement neuf. Sachant toutefois que le marché locatif niçois est orienté vers la location meublée avec une rotation des locataires : étudiants de septembre à mai, touristes de juin à août…

Si leur désir les porte plutôt vers l’achat, l’infirmière et son conjoint achèteront dans l’ancien, se contentant d’un T2 malgré leur projet d’enfant, ou bien ils s’éloigneront vers l’Ariane, La Trinité ou Saint-André de la Roche, engendrant des frais supplémentaires de trajet et de garde d’enfants.

Technopole de Sophia Antipolis

La métropole niçoise est aussi une bonne représentante des territoires abritant des métiers à forte valeur ajoutée. Ces métiers où les professionnels ont des salaires trop élevés pour prétendre aux logements aidés et n’ont donc pas d’autre choix que le parc libre.

Dans la technopole de Sophia Antipolis où ils sont sur-représentés, ces ménages de CSP+ avec un profil plutôt familial (1 ou 2 enfants) recherchent plutôt un T4. Avec leur revenu mensuel de 8 600 €, leur budget d’acquisition avoisine les 580 000 €. Au regard du prix du marché local sur les 3 dernières années, en neuf, ils n’auront accès qu’aux T4 les plus compacts, en deçà de 87 m² moyen, et sur du collectif.

Et de fait, en analysant finement les migrations pendulaires, force est de constater qu’avec plus de 30 000 navetteurs, la majorité de ces CSP+ ne vivent pas sur le territoire. Ces ménages s’éloignent du côté du pays de Grasse pour acheter leur maison ou bien vers Nice pour bénéficier de l’offre de loisirs et d’équipements en étant propriétaire de leur appartement.

Carros et Saint-Jeannet

Enfin, au nord-ouest de Nice, les villes de Carros et Saint-Jeannet offrent un nombre important d’emplois dans le secteur industriel. De façon intuitive, ces mêmes secteurs enregistrant des prix de marché raisonnables pour la région, on s’attend à ce que les actifs vivent qui y travaillent y vivent également. Néanmoins, à y regarder finement, plus nombreux sont ceux qui vivent à l’extérieur… et étonnamment, en majorité dans la ville de Nice (35 à 55 minutes de trajet aux heures de pointe le matin). Se dégagent alors 2 profils :

  • Les ménages familiaux de 45-59 ans de CSP+, qui sont propriétaires de leur appartement, potentiellement attirés par l’offre de la ville et la proximité/diversité de l’offre scolaire pour leurs adolescents.
  • Les ménages familiaux de CSP modeste de 30 à 44 ans qui vivent dans le parc de logements sociaux niçois.

Des réponses nécessairement plurielles

Ces exemples montrent l'importance d’un diagnostic très fin du contexte avant d’envisager les solutions. La dynamique de l’emploi, la tension sur les marchés du logement, les disponibilités foncières, les besoins de construction, l’importance de la demande sociale, l’état du parc privé sont autant de paramètres – la liste n’est pas exhaustive – à prendre en compte.

Les réponses à apporter ne sont évidemment pas dans la main d’un acteur en particulier. Ce sont plutôt trois ensembles de parties prenantes qui doivent se concerter et agir de manière coordonnée.

  • LE MONDE DES COLLECTIVITES qui, de façon accrue grâce au statut d’AOH (autorité organisatrice de l’habitat), actionne les différents leviers à sa disposition : stratégie foncière, pilotage de la rénovation énergétique et des aides au parc privé, lutte contre les logements inoccupés (taxe sur le logement vacant, majoration de la taxe sur les résidences secondaires…), maitrise du développement des meublés touristiques, incitation à la reconversion des résidences secondaires en résidences principales en allégeant la taxation des plus-values…
  • LE MONDE ECONOMIQUE (entreprises, chambres consulaires, fédérations…) a intérêt à s’organiser pour évaluer les besoins futurs en logements liés aux emplois sur le territoire et à partager ces informations le plus en amont possible avec les collectivités qui pourront alors anticiper et impulser la production de logements adaptés. Certaines entreprises sont prêtes à aller au delà de la PEEC (participation des entreprises à l’effort de construction), en achetant des logements pour leurs salariés (Liébot aux Herbiers), en créant des foncières dédiées ou en bonifiant les taux d’intérêt des crédits immobiliers de leurs employés.
  • LE MONDE DU LOGEMENT (aménageurs, promoteurs, bailleurs sociaux) puisera dans la palette étendue des produits résidentiels neufs ou anciens (de l’accession libre à l’accession abordable en passant par l’accession hybride, les produits gérés, le logement locatif social ou intermédiaire…) pour adapter l’offre aux besoins et aux capacités budgétaires des ménages actifs. Cette production impliquera une expertise accrue, à la fois technique et financière, en matière de rénovation, restructuration et réemploi du bâti existant ou de recyclage des friches pour répondre aux contraintes environnementales et trouver des modèles économique adaptés.

Finalement, l’inquiétude des employeurs face aux difficultés de logement de leurs employés n’est qu’une des manifestations de la crise du logement, profonde et générale, qui touche notre pays. Elle permet de mettre le doigt sur ce qui devrait être une évidence : le logement doit d’abord être pensé pour les habitants, et dans la recherche d’un fonctionnement socio-économique équilibré des territoires. 


[1] Enquête réalisée du 26/10 au 20/11/2023 auprès d’un échantillon des adhérents de la CPME : https://www.cpme.fr/espace-presse/communiques-de-presse/enquete-de-conjoncture-cpme-sur-les-salaires-le-recrutement-et-les-mesures-sociales-en-debat#:~:text=D%C3%A9j%C3%A0%20pr%C3%A8s%20d'un%20recrutement,qu'urgent%20d'agir.

[2] Enquête réalisée par Harris Interactive pour l’agence immobilière IMOP du 19 au 21 mai 2021 sur un échantillon de 1023 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. https://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2021/06/Rapport_Harris_-_Les_Francais_et_limmobilier_V2_IMOP_28_mai.pdf

©pexels-roman-odintsov

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