En imposant aux bailleurs sociaux de céder chaque année 1 % de leur patrimoine, soit 40 000 logements, la loi ELAN vise à favoriser la reconstitution de fonds propres pour permettre le financement de nouveaux logements sociaux tout en réduisant la contribution de l’État. Vendre un logement permet en effet d’en financer entre deux et trois grâce à l’effet de levier de l’emprunt.
Au passage, signalons que cet objectif apparemment modeste, va requérir en réalité un effort très important de la part des bailleurs qui ne cèdent aujourd’hui que 8000 logements par an, soit cinq fois moins. En outre, et c’est l’objet de cet article, il ne sera pas sans conséquence pour certains territoires.
Quels logements les organismes choisiront-ils de vendre ?
Selon toute vraisemblance, des stratégies à moyen ou long terme les conduiront à céder non pas les actifs dégageant le plus de fonds propres immédiatement (sauf rares cas particuliers), mais ceux qui pèsent le plus dans leurs charges de gestion. Cela va dans le sens général de la loi ELAN, qui vise à améliorer l’efficience économique des bailleurs, en imposant par ailleurs des regroupements de manière à ne conserver que des structures gérant au moins 12 000 logements (à condition de conserver au moins un organisme par département).
Les logements appelés à sortir les premiers du parc social sont donc ceux qui se trouvent isolés ou distants des sièges sociaux et coûtent cher en gardiennage ou en maintenance.Cette démarche de rationalisation n’est d’ailleurs pas nouvelle. Au sortir de la crise de 2008, les bailleurs ont rompu avec le développement “tous azimuts” des années 1990-2000 et commencé à recentrer leur activité sur des territoires suffisamment denses pour leur permettre d’améliorer leurs ratios de gestion.
Les villes moyennes, principales victimes des ventes HLM
Les “victimes” de ce recentrage seront donc très probablement les villes moyennes et dans une certaine mesure les territoires ruraux. Cette politique de rationalisation va donc à rebours de celle qui vise au contraire à redynamiser les villes moyennes, à travers l’ambitieux plan Action Cœur de Ville.
En effet, comme on vient de le voir, il ne s’agit pas seulement de vendre des logements sociaux dans ces territoires pour en construire d’autres ailleurs, dans les grandes villes notamment, ce qui en soi a déjà de quoi inquiéter les villes moyennes concernées. Il s’agit aussi, pour les organismes HLM, de se désengager globalement de ces villes.
Or les villes moyennes, plus que les métropoles, ont besoin des bailleurs sociaux pour déclencher des programmes immobiliers neufs, y compris pour attirer des promoteurs immobiliers dans le cadre de projets mixtes. Pour des raisons de marché, les programmes purement privés constituent des exceptions.
Imposer aux organismes HLM de céder 40 000 logements chaque année conduit donc indirectement à assécher la production de logements neufs dans les territoires déjà peu attractifs en termes de marché (mais non exempts de besoins).
Quelques pistes pour continuer d’accompagner le développement des territoires les moins denses
Il n’est pas interdit, toutefois, d’imaginer des scénarios moins dommageables. Après tout, même s’ils cèdent leurs logements, rien n’interdit aux bailleurs de maintenir autrement leur présence dans les villes moyennes. D’autant que la loi ELAN les incite aussi à innover et à diversifier leurs sources de revenus.
Parmi les idées cohérentes tant avec l’objectif d’efficience économique qu’avec leur vocation première, qui est de proposer des logements à bas prix, citons la production de logements abordables, de logements sociaux dans l’ancien, ou encore la cession du bâti seul après démembrement de la propriété : ils pourront alors vendre les logements à des prix très compétitifs tout en conservant une rente foncière à peu de frais.
Tristan Ruiz, Consultant Senior Responsable Territorial Occitanie
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