Quel regard portez-vous sur la crise immobilière actuelle ?
Aurélien Deleu. Nous avons près de 900 opérations de promotion de logements en cours de financement réparties sur l’ensemble du territoire. Cela nous a permis de constater les différents phénomènes qui ont, dans un premier temps, généré une crise de l’offre : inflation des prix du foncier, hausse des coûts de construction, moins de maires bâtisseurs, de nombreux recours …. Cela s’est traduit par une baisse des permis de construire, un allongement des durées d’opération et une chute de l’activité.
Les promoteurs avaient donc relativement peu de logements à vendre quand est arrivée la crise de la demande avec la remontée brutale des taux d’intérêts ayant entrainé, entre autres, la désolvabilisation des primo-accédants. Nous constatons, depuis un an, une augmentation des stocks, c’est-à-dire des logements livrés non vendus, mais celle-ci reste raisonnable en raison de la faiblesse de l’offre.
Quelles en sont les conséquences pour ARKEA Banque Entreprises et institutionnels ?
AD. Ces logements en stock sont lourds à porter pour les promoteurs puisqu’ils se financent par de la dette à taux révisable basée sur l’Euribor. Les lignes de financements sont plus utilisées et leurs frais financiers ont explosé ces 18 derniers mois puisque le taux sans marge est passé de 0 % à 4 %. Notre rôle, en tant que banquier des acteurs de la chaine de l’immobilier, est d’accompagner nos clients dans ce moment compliqué, dans leurs opérations en cours en prorogeant nos lignes si besoin, mais surtout de financer les nouvelles opérations de promotion car il ne faut pas que la machine s’arrête afin de ne pas aggraver la crise actuelle.
Faut-il revoir le mode de financement de l’accession, selon vous ?
AD. Votre question s’adresse plutôt aux établissements bancaires servant la clientèle des particuliers. Au Crédit Mutuel Arkéa, nous permettons à nos clients sociétaires d’acheter leur logement. Nous portons également une attention particulière au financement des primo accédants. C’est pourquoi Arkéa Banque EI at été très proactive dans le développement des outils innovants comme le PSLA ou encore le BRS. Nous avons été une des premières banques à financer les acquéreurs de BRS.
Le problème est que, ces dernières années, nous avons vécu avec des taux négatifs et des liquidités abondantes qui ont provoqué une flambée des prix de l’immobilier. Et aujourd’hui avec des taux qui sont redevenus « normaux » proche des 4 % (sur du 20 ans amortissable), l’équation ne fonctionne plus. Il est nécessaire de trouver des solutions comme des montages financiers innovants ou encore en desserrant certaines règles imposées par le HCSF (durée des emprunts ou taux d’endettement des ménages). Par exemple, sur les montages financiers, nous voyons la profession s’interroger, ces jours-ci, sur les limites du prêt amortissable comme moyen de financement de l'accession à la propriété et insérer une quote part en in fine qui pourrait correspondre au foncier.
Et du côté des bailleurs sociaux ?
Laurie Lemoine. On se souvient que les ventes en bloc aux bailleurs ont été la solution de sortie de crise en 2008 mais, dans la crise actuelle, le soutien se limite aux deux appels à manifestation d'intérêt lancés par la Caisse des dépôts et par Action Logement.
Cela ne pourrait d’ailleurs guère aller plus loin parce que la situation financière des bailleurs sociaux s’est fragilisée. Les effets de la RLS[1] adoptée en 2018 n’ont pas été immédiatement visibles en termes de budget, les bailleurs les ayant partiellement compensé via notamment la vente HLM, mais à cela se sont ajoutés l'inflation des prix du foncier et des coûts de construction, sans oublier que le taux du livret A [qui détermine le taux des prêts accordés au logement social] été multiplié par 6 en 18 mois. La Caisse des dépôts est le financeur « naturel » et historique du secteur HLM, nous accompagnons également les bailleurs sociaux à titre complémentaire. En 2023, nous voyons très clairement les résultats comptables des bailleurs sociaux se contracter. Nous avons d’ailleurs été deux fois moins sollicités pour des financements. Et les bailleurs sont confrontés à des arbitrages difficiles entre développement et réhabilitation pour se conformer à la loi climat et résilience.
Les solutions ne sont-elles pas à rechercher à l'échelle de la filière ?
LL. Nous en sommes convaincus. Si notre portefeuille est sain, c’est parce que, depuis 15 ans [lancement de l’activité institutionnelle], nous nous sommes donné les moyens de comprendre le fonctionnement de la filière. Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur, de la maîtrise foncière à l’investissement. Cela nous permet d’avoir une vision globale, intégrant l’ensemble des acteurs, et une connaissance fine de chaque opération, de son contexte, du marché, du soutien de la collectivité – un critère majeur à nos yeux – de ses évolutions. Cela sécurise nos engagements et c'est pour cela que nous n'avons pas jugé utile de durcir nos conditions de financement, malgré le contexte actuel.
Quels genres de solutions proposez-vous ?
LL. Par exemple, nous essayons de susciter des partenariats en faisant se rencontrer des acteurs qui ne le feraient pas forcément de manière spontanée. Nous avons été précurseurs dans ce domaine en créant il y a 10 ans le Speed Dating de l’immobilier. Pour aller plus loin dans cette logique de décloisonnement, sachant que les frontières entre les métiers sont de plus en plus floues, nous avons structuré notre organisation interne en regroupant nos métiers immobiliers à l’échelle du Groupe Crédit Mutuel Arkéa. Nous appelons cela « La Filière immobilière» et pour nous c’est une manière naturelle de travailler, parce que nous tenons à conserver une structure à taille humaine, qui permet de se parler. Par exemple, cela nous rend assez compétent pour financer les opérations en co-promotion publique-privée.
AD. Il faut rappeler que le Crédit Mutuel Arkéa est une entreprise à mission et est à ce titre impliqué dans la transition environnementale. Nous avons créé chez Arkéa Banque EI la gamme Impulse, qui octroie une baisse de marge sur le financement des opérations qui vont au-delà des exigences de la RE 2020 : actuellement cela concerne celles qui atteignent les seuils 2025. Au quatrième trimestre 2023, cela correspondait à 15 % de notre production de crédits.
LL. Et les bailleurs sociaux peuvent également obtenir une bonification sur le financement de travaux de rénovation permettant d’atteindre l’étiquette A, B ou C du diagnostic de performance énergétique ou une économie de 30 % de la consommation d’énergie primaire après projet.
[1] Réduction de loyer solidarité (RLS) imposant de facto une baisse des loyers. https://www.banquedesterritoires.fr/un-decret-et-deux-arretes-mettent-en-place-la-reduction-du-loyer-de-solidarite-rls
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