La ville du futur est déjà là

C'est un peu le principe de Pareto (loi des 80/20) à l'envers ! C'est sur la ville existante, soit 80 % de celle de demain, que devront porter nos plus gros efforts d'adaptation. Merci à Christine Leconte, Sylvain Grisot et aux éditions Apogée de nous autoriser à publier un extrait du second chapitre de leur ouvrage qui vient de paraître "Réparons la ville !".

Équipe ADEQUATION

Publié le 18/02/2022

 

"Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires", édité aux Editions Apogées. Extrait du chapitre 2 : La ville du futur est déjà là.

Sylvain Grisot : Cela fait un demi-siècle qu’on consacre l’essentiel de nos efforts à construire du neuf toujours plus loin. Mais aujourd’hui, on a des virages à prendre, et vite. Nous oublions que la ville se renouvelle tout doucement, 80 % de la ville de 2050 est déjà là ! Les enjeux de l’adaptation de la ville existante sont donc la priorité, et le neuf devrait être construit avec beaucoup plus d’exigence.

Sylvain Grisot
Christine Leconte

Christine Leconte : On est toujours dans le modèle de réponses aux crises du XXe siècle, avec des politiques du logement centrées essentiellement sur la relance par la construction neuve. « Quand le bâtiment va, tout va », ce slogan a la vie dure. Mais aujourd’hui, nous sommes dans des crises d’une autre nature, qui remettent en cause l’existence de l’humain sur Terre. La réponse ne peut pas venir des modèles d’avant.

Sylvain : On annonce régulièrement un nouvel objectif de construction neuve. Ces chiffres ronds font des slogans qui claquent, mais rarement changer les choses. On produit bon an, mal an trois cent cinquante mille logements neufs chaque année, mais les variations de rythme sont plus liées à la conjoncture mondiale et aux échéances électorales qu’aux effets de nos politiques du logement. On a besoin de plus de logements avec les séparations et le vieillissement de la population, mais on en construit déjà deux fois plus que l’augmentation du nombre de ménages. Et pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et nos consommations de ressources, on va être obligés de réduire ce rythme.

Christine : On oublie beaucoup de choses dans ces débats. Nous avons plus de trois millions de logements vacants en France qui ne sont pas habités aujourd’hui, et ce nombre augmente rapidement. Alors bien sûr, une partie n’est tout simplement pas au bon endroit, mais beaucoup pourraient faire l’objet de réhabilitations pour recréer une offre de logements de qualité dans les centres urbains. Dans les secteurs les plus tendus, on a aussi une vacance spéculative et l’évaporation d’une partie du parc locatif au profit de plateformes de locations touristiques. Il faut remédier à ça.

Sylvain : On débat de ce faible flux de nouveaux logements, alors que les enjeux concernent tout le stock des trente-six millions de logements français. Et chaque segment du parc pose des questions différentes. Il y a celle du logement d’urgence, toujours saturé malgré l’augmentation du nombre de places. Celle du logement social dont la production doit à tout prix reprendre, car il est en première ligne face à une précarisation croissante d’une partie de la population. Dans les métropoles attractives, l’envolée des prix du locatif et l’absence d’offres d’accession abordables pour des familles sont criantes. Dans les villes moyennes il manque aussi de logements permettant d’étudier ou de bien vieillir dans les centres. Chaque maillon de la chaîne mérite notre attention et le parcours de chacun doit se fluidifier, permettant aux Français de trouver un logement adapté à toutes les étapes de leur vie.

Christine : En ne se concentrant que sur des chiffres, on en oublie de se demander pour qui sont ces logements et de parler de leur qualité. Habiter la ville, ce n’est pas qu’avoir un logement. Il y a une multitude d’espaces bâtis ou non bâtis qui doivent bien s’agencer pour répondre pleinement à nos besoins. Les pénuries de matériaux nous rappellent aussi l’évidence de la crise des ressources qui s’amorce. Cela nous questionne sur la valeur de ce que l’on démolit. Il est temps de cesser de jeter, et de réparer la ville. Tout ce qui tient debout doit être envisagé comme une ressource et respecté.

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Illustration - la ville de 2050, 20% reste à construire, 50% est déjà là
la ville de 2050, 20% reste à construire, 50% est déjà là

Sylvain : Il va falloir rompre avec l’idée que la ville est pleine, que l’on ne peut plus rien y faire et que la construction neuve en périphérie s’impose à nous. Des espaces trop denses existent en France, mais ils sont rares. La plupart de nos villes, des métropoles aux plus petits villages, regorgent d’espaces urbanisés qui pourraient être mieux utilisés. On a tellement de friches qu’on est incapables de toutes les compter. Rien qu’en Île-de-France, les premiers recensements ont permis de repérer plus de 2 700 sites pour pas moins de 4 200 ha. Nous avons pléthore d’équipements publics aux horaires d’ouverture étriqués qui pourraient servir plus. Et puis, il y a ce fameux périurbain dont il faut arrêter l’extension sur les terres agricoles. Mais le périurbain, c’est aussi de la ville, de la vraie ville. Accepter cet héritage, c’est d’abord en finir avec le regard condescendant sur ces territoires dans lesquels vivent un bon tiers des Français. Le problème d’hier peut devenir la solution de demain en maillant ces territoires de voies douces, en y aménageant des centres de vie, en réhabilitant toute une partie du parc de maisons aujourd’hui sous-occupées et mal isolées, et en construisant des neuves à côté de celles déjà là.

Christine : La seule réponse qu’on apporte à ces quartiers de lotissements est soit de les figer, soit de les remplacer par des logements collectifs. On voit disparaître progressivement du patrimoine démoli pour construire une ville extrêmement standardisée. On pourrait faire émerger une densification douce de maison entre deux autres, de petits commerces, d’extensions tout en repensant l’espace public. Ces mutations existent, mais elles se font discrètes, souvent sans les élus. On retrouve parfois des studios au fond de jardins aménagés qui sont des logements touristiques ou étudiants, et qui contribuent à une forme de densification qui respecte le tissu urbain existant. Comment organiser et accélérer ces mutations sans perdre la qualité des lieux ?

Sylvain : Organiser ce type de transformation nécessite des changements de rôle et de nouveaux savoir-faire. Rajouter quelques logements sur le toit d’une copropriété pour payer sa réhabilitation globale ou faire de la densification douce dans des espaces pavillonnaires, ce sont des exercices différents de ce qu’on fait depuis un demi-siècle. Il faut admettre que réparer la ville déjà là, ce n’est pas seulement plus compliqué, mais c’est aussi un autre type de pratique. C’est une forme d’artisanat, car ce sont des objets non standard. Il faut à la fois développer des compétences très spécialisées, sur la connaissance des structures existantes, sur la pollution des sols ou l’écologie urbaine, mais aussi avoir des professionnels qui ont la capacité d’animer des projets qui mobilisent beaucoup de gens qui ne parlent pas le même langage.

Christine : Il va y avoir une mutation profonde des métiers. Le métier d’architecte va beaucoup changer, même si les fondamentaux restent solides : nous ne sommes déjà plus sur l’acte de bâtir du XXe siècle, mais sur la dentelle du XXIe. Il y a de nouvelles missions en amont de la conception, avec le conseil et la programmation. Émerge en parallèle un nouveau positionnement, favorisant l’écoute et la construction collective des projets. Les métiers de promoteur ou d’amé‑ nageur vont aussi devoir muter en s’interrogeant notamment sur l’importance de la ressource.

Sylvain : Plein de nouveaux métiers passionnants vont apparaître : urbaniste des temps, ingénieur en non[1]construction, picopromoteur, animateur des mutations pavillonnaires, aménageur agricole, écologue urbain, paysagiste du macadam… Il y a une vraie créativité formelle à développer pour rendre désirables les transformations de la ville qui nous entoure, mais cette créativité doit s’étendre aussi aux programmes, aux modes de gestion et aux montages opérationnels, juridiques ou financiers. Le rôle et les outils traditionnels de chacun sont perturbés, et la méthode de fabrication de la ville devient un vrai sujet de conversation.

Christine : On a donc aussi besoin que quelqu’un anime ce dialogue pour qu’il soit sincère et utile. Je pense que l’élu local a un rôle important à jouer sur ce sujet et que l’architecte devra l’accompagner. Certains ont compris que leur rôle est en train d’évoluer. Les budgets participatifs par exemple font émerger la participation citoyenne, avec un élu qui n’est plus seul décideur, mais garant de la démarche. On est au balbutiement de la transformation de la fonction de l’élu, mais si on y parvient, il aura vraiment une place essentielle à l’articulation du public et du privé, du commun et de l’individuel.

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Réparons la ville !

Pour en savoir plus : www.reparonslaville.fr


© Julien Billaudeau

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